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Mag #7
7 – Septième numéro
Agir

Un espace de liberté au cœur d’une prison

Publié le 10 mai 2021

À Rennes, l’aumônerie du centre pénitentiaire des femmes offre aux détenues de renouer avec la terre et leur humanité en travaillant au “jardin de la chapelle”. Une expérience extrêmement humble qui redonne du sens à l’existence. Par Florence de Maistre.

“Derrière la chapelle, il y a un petit jardin entretenu par les femmes. L’activité est encadrée par des bénévoles du Secours catholique car nous ne pouvons pas laisser les femmes seules, ni nous démultiplier. Pendant ce temps-là, nous animons un atelier de partage d’Évangile dans la chapelle”, indique Béatrice Courtois, aumônier titulaire du centre pénitentiaire des femmes à Rennes depuis deux ans et demi. Comprenant un centre de détention pour femmes qui purgent de longues peines ainsi qu’une maison d’arrêt pour celles qui attendent leur jugement, cette prison est la seule exclusivement réservée aux femmes aujourd’hui en France. Elle compte 200 à 230 détenues. L’ancienne maison centrale de force et de correction tenue par des religieuses a conservé son architecture du XIXe siècle, avec ses coursives, ses espaces verts, sa grande chapelle. L’aumônerie catholique est animée par une équipe de cinq bénévoles qui disposent de l’agrémentdu  diocèse et de l’administration pénitentiaire. Une trentaine de femmes participent régulièrement à la messe et une dizaine aux activités proposées : partage d’Évangile, atelier Bible, adoration eucharistique.

 L’activité “le jardin de la chapelle” existe depuis plusieurs années, elle était anciennement animée par un frère franciscain. En acceptant la mission d’aumônier à la suite de sœur Myriam, c’est tout naturellement que Béatrice Courtois renouvelle l’initiative. Il s’agit d’abord de fleurir la chapelle, mais la démarche va bien au-delà. “Les femmes trouvent au jardin un espace de paix et de calme. Elles ont l’impression d’être ailleurs, vivent un moment de bonheur et d’évasion. Dehors, avec des bottes et des grattoirs, elles retrouvent une forme de normalité. Tout le monde a besoin du contact avec la nature. Ici encore plus ! Ca leur fait un bien fou. Je m’aperçois combien cela joue sur leur caractère, leur bonne humeur. Au sein du milieu carcéral très froid, minéral et dur, le jardin a comme un effet thérapeutique”, développe Béatrice Courtois. Ainsi, cette femme âgée de 75 ans, responsable des bouquets, qui porte beaucoup de violence en elle, qui entend mal et qui a des difficultés pour communiquer avec les autres, s’y apaise. “Il faut les voir sortir quel que soit le temps ! Un peu sueur sur le front, de la terre sur les mains, des étincelles dans les yeux : elles sont heureuses, retrouvent un équilibre”, poursuit l’aumônier.

 

Pleinement actrices

Bien que nombreuses à souhaiter participer au jardin, seules cinq à six détenues y sont autorisées, les noms étant validés par le chef de détention. En dehors des restrictions liées à la crise sanitaire, l’atelier se déroule tous les vendredis après-midi. “En prison, on subit tout. On ne peut pas ouvrir une porte. On nous dit tout ce que l’on doit faire. Au jardin, les détenues oublient leurs fragilités. Elles sont véritablement présentes au travail de la terre, cela leur redonne une forme de dignité, car elles sont pleinement actrices”, relève Béatrice Courtois. Autour du cerisier présent dans le jardin, elles ont la possibilité de choisir ce qu’elles veulent planter et ce qu’elles cueillent. Des fleurs bien sûr, quelques légumes aussi, des herbes aromatiques surtout, pour améliorer le quotidien avec d’agréables tisanes.

Une relation privilégiée, une heureuse entente se crée avec les membres de l’équipe prison du Secours catholique qui viennent encadrer l’activité. Il s’agit d’être présent, d’aider les femmes, d’éviter éventuellement les tensions entre elles. Là, les discussions vont bon train. “Je les entends quelquefois en grande conversation autour des plantes ou de tout autre chose ! Le jardin est le lieu du papotage, certaines peuvent se confier. De très beaux liens se tissent”, souligne l’aumônier. Détenues et bénévoles se rencontrent au jardin, font connaissance, se retrouvent parfois à la messe. L’heure est au respect des règles, du nombre, des horaires précis, mais Béatrice Courtois imagine déjà la possibilité d’animer les partages d’Évangile en plein air. “Les bénéfices en seraient démultipliés”, assure-t-elle.

 

Pleinement sensibles

L’aumônier reste étonnée de l’attention développée par les femmes pour la protection de la nature. Elles connaissent bien les plantes et leurs propriétés, aiment cultiver ce savoir et le partager. “Souvent, elles m’apprennent les bienfaits de tel ou tel aromate qu’elles me conseillent d’essayer. Et je repars avec mes petites herbes !”, sourit l’aumônier. Une ancienne agricultrice, engagée dans la démarche écologique, est déjà venue plusieurs fois animer un atelier sur l’environnement. D’autres étaient prévus avec une intervenante formée sur l’encyclique Laudato si’, afin de relier plus largement le travail au jardin avec ce souci de la terre et de la Création comme don de Dieu. Le projet sera mis en œuvre, dès que les conditions permettront à nouveau l’accès à la prison par des personnes extérieures.

D’ici là, l’équipe de l’aumônerie encourage chacune à déceler le beau dans chaque journée. “En prison, dépouillé de tout, dans ce lieu de manque et de souffrance, on peut retrouver l’essentiel. La moindre fleur, le chant d’un oiseau, un rayon de soleil ou une feuille qui tombe devient une joie, prend une nouvelle saveur. Tout redevient source d’émerveillement. Le beau redonne goût à l’existence et donne des raisons d’espérer”, révèle Béatrice Courtois, en évoquant certaines femmes qui entretiennent comme une relation d’amitié avec les goélands qui tournent autour de la prison. L’aumônier de poursuivre : “Ce qui nous rassemble tous autour de la chapelle, du jardin ? C’est Dieu présent dans les discussions avec ces femmes, Dieu présent dans les fleurs, dans le Saint sacrement, en nous et à travers nous. Il est présent dans nos activités, notre mission, nos joies et nos souffrances aussi.” Le sourire des femmes, sensibles au temps passé avec et pour elles, encourage la mission de l’équipe qui accueille leurs témoignages. Au jardin et à la chapelle, les détenues trouvent deux éléments qui manquent cruellement en prison : le silence et l’espace. “Elles aiment dire que ce sont comme des bulles au sein de la prison. Nous mesurons la chance que nous avons avec ces lieux qui sont extrêmement ressourçants pour elles et qui apportent la paix.”

 

En savoir plus 

https://rennes.catholique.fr/

https://www.servonslafraternite.net/experiences-partagees/video-prison-des-femmes-de-rennes

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