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Mag #7
7 – Septième numéro
Comprendre

En conscience

Publié le 10 mai 2021

Père Jean-Marie Onfray est le Directeur adjoint du pôle santé-justice à la Conférence des évêques de France, Responsable national de la Pastorale de la Santé. Très impliqué sur les questions de la souffrance, du vieillissement et de la fin de vie, il nous donne quelques éléments de réflexion concernant le projet de loi sur l’euthanasie.

Une forte proportion de députés viennent de proposer une loi pour une « fin de vie libre et choisie », cinq ans après la loi Claeys-Léonetti. Ainsi la question de l’euthanasie (ou du suicide assisté) revient dans l’actualité portée par un lobbying incessant depuis quelques années. Au nom de la liberté, certains voudraient permettre à ceux qui « en ont assez » une aide à disparaître dans la légalité. Devant l’apparente évidence de la proposition, il est indispensable d’inviter à la réflexion.

Indécence en période de covid

Alors que dans le monde entier, tous les professionnels de santé se battent pour sauver des vies, en particulier celles des plus anciens et des plus fragiles, il est indécent de poser la question de l’aide à mourir. Nous savons tous combien la pandémie a mobilisé pour que la vie triomphe dans ce combat avec le virus et nous avons tous souffert devant ces morts peu accompagnées et parfois devant l’absence de célébrations dignes. La crise sanitaire nous a provoqués à mesurer le prix de chaque vie humaine et l’importance des liens humains qui aident à lui donner sens.

Mourir dans la dignité

Tout le monde souhaite mourir dans la dignité, ou plutôt que sa dignité d’être humain soit respectée jusqu’à la mort… et même après ! La dignité ne tient pas à la bonne santé ou à la qualité relationnelle. La dignité s’affirme devant toute vie humaine, même hors d’une référence religieuse. Trop de situations dans le monde heurtent notre sensibilité et notre jugement quand cette dignité n’est pas respectée. La dignité est liée à la fragilité de l’existence et à la finitude qui marquent toute existence. Dans la foi chrétienne, nous y lisons l’œuvre créatrice de Dieu.

La dimension relationnelle de l’existence

De sa naissance à sa mort, l’être humain est relationnel. Il n’existe pas par lui-même et pour lui-même. Il se reçoit des autres et assume sa responsabilité dans le devenir des autres. Cette main tendue qui fait s’éveiller à la vie le petit d’homme est aussi celle qui lui permet de traverser les épreuves, les douleurs et les souffrances. Dans l’approche de la fin de vie, l’être humain a besoin de sentir la présence de ceux qui l’aiment, il a besoin de s’exprimer et d’être écouté. La fin de vie n’appelle pas le déni et le silence gêné. Il est urgent de juguler la douleur pour permettre une relecture de vie et une « passation » de témoin. L’affrontement aux limites dit le prix de chaque vie et la force des relations affectives.

La chance des soins palliatifs

Devant une médecine de plus en plus technique, l’émergence des soins palliatifs est une chance, trop peu exploitée. Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe pluridisciplinaire, en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance physique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. Nous avons en France, 152 unités de soins palliatifs, 426 équipes mobiles et 107 réseaux. Nous savons tous que cela est nettement insuffisant devant les plus de 600 000 morts chaque année dont 59% à l’hôpital. Il faut développer les soins palliatifs.

Affronter les douleurs résistantes

Nous savons que certaines fins de vie médicalisées posent la question légitime de l’obstination déraisonnable. La loi Claeys Léonetti de 2016 offre cette possibilité en phase terminale d’une affection grave et incurable de mettre en place une sédation profonde et continue jusqu’au décès du malade, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie. Toute personne majeure et capable peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées sont révisables et révocables à tout moment. Mais Didier Sicard a raison d’écrire : « Le progrès d’une société aujourd’hui comme nous l’a appris le vingtième siècle, se mesure à sa capacité de développer la solidarité, en protégeant et en entourant les plus faibles et non à faciliter leur disparition ».

On meurt mal en France !

Ce slogan est souvent répété. Il ne vise personne précisément ou plutôt, il nous invite à regarder « en conscience » comment notre société ultralibérale renvoie chacun à sa solitude existentielle. Même en situation de pandémie, les soignants font tout pour être humainement présents aux personnes en fin de vie, dans les différentes institutions de santé. Mais dans nos rythmes et nos choix de vie, quelle place donnons-nous à la gratuité de la présence, à l’accompagnement des situations douloureuses ? Comment redécouvrir que la « bonne mort » est celle que l’on peut nommer lorsqu’elle approche et dont on souhaite parler en partageant nos sensibilités ? Le paradoxe est que le terme « euthanasie » veut dire étymologiquement « bonne mort » en confondant le « laisser mourir  » et le « faire mourir ». Entrer dans une logique de donner la mort pour soulager ne peut qu’interroger les consciences.

 

Jean-Marie Onfray

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