Mag #1 1 – Premier numéro Comprendre
En quoi la défense de la vie de sa conception jusqu’à sa fin est-elle une question d’écologie intégrale ?
Par Mgr Pierre-Antoine Bozo, évêque de Limoges et membre du groupe Eglise et Bioéthique de la Conférence des évêques de France.
Si plus grand monde ne conteste l’urgence de la conversion écologique, l’écologie intégrale, dont on pourrait penser également qu’elle entraîne une adhésion unanime, est susceptible de compréhensions diverses et parfois divergentes. Elle est utilisée aussi bien par le pape François[1] que par la députée des Deux-Sèvres Delphine Batho, présidente de Génération Écologie[2] en des sens non superposables.
Il importe donc de préciser ce qu’elle recouvre dans le discours du pape François et comment elle intègre des questions bioéthiques qui ne sauraient lui être étrangères. La grande idée du Saint-Père est de ne pas restreindre le domaine de l’écologie à des considérations techno-scientifiques concernant la nature perçue comme un simple cadre de vie ou réalité en soi. Dit autrement, la crise environnementale ne peut être détachée de la crise sociale et du souci de l’homme dans la création. « Tout est lié ». Ce leitmotiv de l’Encyclique Laudato Sì, « intègre » donc dans la notion d’écologie bien plus que ce que l’on y met spontanément.
Dans son manifeste, Delphine Batho défend le droit à l’avortement et la procréation médicalement assistée. Le programme d’EELV inclut de son côté également la procréation sans père, ouvre le débat sur la GPA, promeut l’euthanasie ou le suicide assisté.
Pour l’Église Catholique, l’écologie intégrale inclut le respect de la vie de sa conception jusqu’à sa fin naturelle. Les discussions autour de la révision de la loi de Bioéthique en ce moment en débat pour la seconde lecture à l’Assemblée Nationale mettent en cause fortement non seulement des principes liés au respect de la vie, mais donc également à la conversion écologique.
La tribune publiée par les membres du groupe bioéthique de la Conférence des Évêques de France indique que « les menaces sont réelles : marché des tests génétiques, robotisation et intelligence artificielle sans contrôle suffisant, expérimentation sur des embryons chimères, sélection accrue des enfants à naître, filiation sans paternité, maternité sans gestation, marchandisation de la procréation. Plus que jamais, une vision audacieuse est nécessaire : grâce au « dialogue », qui est plus qu’un simple débat, développons une compréhension unifiée de la personne humaine en ses dimensions corporelle, psychique, sociale et spirituelle. Le corps n’est pas un matériau manipulable selon tout désir. Les liens humains fondamentaux ne sont pas configurables à volonté, fût-ce celle d’une majorité parlementaire[3]. » Il s’agit bien là d’une question écologique.
Selon le Pape François, le même mouvement consumériste tout-puissant accable la création, les pauvres et les migrants, et finalement tout homme dans ce qui le fonde en lui-même, au-delà de ce qui l’entoure. Car en réalité toutes les fragilités sont méprisées dans ce rapport de force permanent. L’eugénisme possiblement ouvert par la révision de la loi de bioéthique, les discours sur le suicide assisté ou l’euthanasie, la recherche sur l’embryon humain ou la PMA : il s’agit toujours d’utiliser le faible (ou de le supprimer) au profit du fort.
C’est bien pourtant un même mouvement qui veut protéger la création et ce qu’elle renferme de plus précieux, l’homme. L’homme n’est pas l’ennemi de la nature mais une de ses composantes et non la moindre. « Parce que la nature est une, on ne peut choisir Gaïa contre Gaëlle, les petits phoques contre les agonisants, les icebergs contre les trisomiques, les mangroves contre les migrants. Elle est intégrale comme l’Église est catholique, c’est-à-dire universelle : elle embrasse tout et tous, soucieuse de veiller à préserver la totalité de cette merveille ineffable qu’est la Création »[4].
Pour être intégrale l’écologie doit intégrer l’anthropologie. Comment imaginer que le principe de précaution qui prévaut en tout domaine susceptible de nuire à une création dont la complexité nous échappe toujours ne soit pas mis en oeuvre en ce qui concerne les recherches sur l’homme ? Comment se battre contre les OGM et accepter certaines modifications génétiques sur les embryons (« ciseaux génétiques » type Crispr- cas9) ? « Nous ne voulons pas d’une humanité génétiquement modifiée » se sont exclamés José Bové et Jacques Testard dans une tribune du Monde[5] ! Au-delà du risque de jouer à l’apprenti sorcier, du DPI-A permettant d’éliminer des embryons « non conformes » à l’euthanasie, n’est-ce pas toujours le plus fragile et le plus faible dont on se débarrasse ? « Puisque tout est lié, écrit le pape François, la défense de la nature n’est pas compatible non plus avec la justification de l’avortement. Un chemin éducatif pour accueillir les personnes faibles de notre entourage, qui parfois dérangent et sont inopportunes, ne semble pas praticable si l’on ne protège pas l’embryon humain, même si sa venue cause de la gêne et des difficultés [6]».
L’écologie intégrale renonce à « transformer la réalité en pur objet d’utilisation et de domination » (LS § 11). Si c’est notre Maison commune qu’il s’agit de préserver, comment ne pas concevoir qu’il faut préserver l’homme, tout homme, tous les hommes de tout ce qui est susceptible de les abîmer ? Et comment pourrions-nous respecter la nature si nous ne respectons pas la vie quand elle est le plus fragile : au début et à la fin ? N’est-ce pas alors que nous sommes le plus appelés à une vision non utilitariste, à une écologie intégrale ?
Le 27 juillet 2020
+P.-A. Bozo
Évêque de Limoges
[1] Pape François, Laudato Sì, 2015 (en particulier le chapitre IV « une écologie intégrale »)
[2] Delphine Batho, Ecologie intégrale, Le Manifeste, Ed. du Rocher, 2019
[3] Groupe bioéthique de la CEF, sous la présidence de Mgr d’Ornellas : « La bioéthique du monde d’après », 20 juillet 2020
[4] Gautier Bès, Figaro vox, 18 juin 2015
[5] 15 janvier 2020
[6] Laudato Sì, § 120