Mag #7 7 – Septième numéro Constater
La prison, lieu d’écologie intégrale ?
Lorsqu’il a reçu commande de cet article, le père Jean-François Penhouet, aumônier à Fleury-Mérogis et aumônier national catholique des prisons, s’est retrouvé un peu décontenancé : s’il y a un lieu où les préoccupations écologiques ne sont guère un souci, c’est bien la prison ! Il nous livre pourtant son constat sur la façon dont les prisons peuvent être un lieu de déploiement des soucis portés par l’écologie intégrale.
Une liste que vous pourriez allonger encore : saleté, béton, odeurs, insalubrité. Et puisque tout est lié, j’ajoute : violences, provocations, promiscuité, cris, non-droit, infantilisation, suicides, isolement, souffrances, mort…Bref, tout le contraire de ce qui fait l’épanouissement d’un homme ou d’une femme dans une société et dans un environnement agréable et respectueux de sa dignité.
J’aurais pu arrêter ici mon article et vous laisser sur cette litanie à vous mettre en dépression ! Mais, providentiellement peut-être ?, le journal « La Vie » dans son numéro de Pâques 2021 a consacré un dossier aux jardins, avec un article sur les jardins en prison. De même, la revue « Visiteur » de l’ANVP (Association Nationale des Visiteurs de Prison) évoquait dans son numéro de mars 2021 les « Modules de respect », les SAS (Structures d’Accompagnement vers la Sortie)…et un jardin en Martinique au centre Pénitentiaire de DUCOS. Jardin que j’ai eu la joie de visiter il y a deux ans lors d’un voyage pour rencontrer les équipes des Caraïbes : je tenais là, dans le sommaire de cette revue, un antidote à la déprime qui aurait pu me gagner devant la feuille blanche sur le sujet : « Ecologie intégrale en prison »
Le jardin de Ducos
Me revient en mémoire ce sentiment de bonheur, oui, je dis bien : bonheur ! à l’issue de la matinée passée dans ce centre pénitentiaire à plusieurs milliers de kilomètres de notre hexagone. Un officier avait expliqué à notre délégation en visite comment il avait dû travailler ferme avec son directeur pour faire aboutir ce projet de jardin potager dans une cour désaffectée afin de permettre aux personnes détenues indigentes d’améliorer leur alimentation. Et dans le jardin, je m’étais fait interpeller par C., gros caïd, hyperviolent, connu à Fleury-Mérogis, tout content de m’exprimer la joie qu’il ressentait à cultiver ses légumes dans sa parcelle et à échanger des produits avec ses voisins ! Dans les couloirs du quartier voisin, d’autres personnes détenues sifflotaient en repeignant les murs avec des motifs floraux qui auraient pu faire pâlir d’envie certains artistes. Pour la propreté, rien à redire ! Au quartier mineur ensuite, rencontre avec une éducatrice en entretien avec un jeune. Peu de vocabulaire policé ! Mais en quelques phrases, cette jeune femme a aidé ce détenu à formuler devant nous, des inconnus, ses idées sur sa vie, ses projets, ses questions, ses souffrances aussi en termes audibles. Le dialogue s’est engagé : il était reconnu. Il existait ! On n’était plus en prison ! Ou, plutôt, si on était bien en prison, celle-ci faisait progresser des personnes en leur permettant d’être actives, créatives, voire solidaires ! Ducos : un lieu d’écologie intégrale, mêlant travail de la terre, souci du beau, respect des personnes, attention aux plus faibles, souci éducatif de leur progression. Je ne suis pas complètement naïf. Ducos n’est pas un paradis carcéral : il y règne aussi, comme ailleurs, violence, désespoir, affrontements entre personnel pénitentiaire et détenus. Mais cet îlot d’écologie intégrale, si je puis m’exprimer ainsi, montre qu’autre chose est possible, même en prison, lorsqu’on rapproche l’homme de la nature, qu’on lui fait confiance, qu’on le regarde autrement….
Ducos, et ailleurs
Le cadre de cet article ne permet pas de développer la philosophie ni le fonctionnement des « Modules de Respect » et des SAS. En deux mots, disons que l’Administration Pénitentiaire invente une nouvelle façon de gérer les personnes détenues en contractualisant avec elles : « Vous vous engagez à vous lever à l’heure, à travailler, à n’insulter ni surveillant ni détenu…et vous pourrez disposer d’une liberté aménagée pour circuler, vous retrouver avec d’autres… » (module de respect). Le SAS, comme son nom l’indique, est un aménagement des derniers mois de détention pour favoriser l’autonomie et responsabiliser les personnes détenues dans la préparation de leur sortie. L’aspect professionnel est privilégié dans ce moment : formation, TIG (Travail d’Intérêt Général), insertion dans des entreprises de l’Economie sociale et solidaire. Pour la réussite de ces SAS, une implication multipartenariale est nécessaire : Etat (Administration Pénitentiaire, Pôle Emploi) ; collectivités territoriales (régions ayant la compétence pour formation professionnelle ; communes) ; associations.
Des fleurs qui effacent les barreaux
Le monde de la prison est terne et gris, bétonné et froid, même si dans les dernières constructions ou rénovations on met un peu de couleur ou on est un peu plus attentif à l’acoustique. A Fleury-Mérogis où j’exerce, il y a encore de grands espaces inutilisés. Quelques rosiers dont on ne sait plus l’âge s’entêtent à fleurir chaque printemps. Je rêve qu’un jour ils se retrouvent au milieu d’un jardin ! Quand nous pouvions célébrer la messe avec des intervenants extérieurs avant le confinement, ces derniers remettaient des fleurs aux participants à la fin de la célébration. Simple moment de bonheur partagé ! Si vous saviez les trésors d’imagination déployés dans les cellules pour faire durer ces fleurs, pour les faire bouturer ! A notre session nationale d’animateurs bibliques en prison à Dourdan (91) l’an dernier, une création collective d’une peinture par les participants était suggérée sur le thème : « Prison grise ; Eglise Verte ; au soleil de l’Evangile ». Un animateur y avait dessiné des petites fleurs…qui faisaient disparaître les barreaux des fenêtres !