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Mag #9
9 – Neuvième numéro
Comprendre

Convertir les mentalités et les liens entre les personnes

Publié le 16 septembre 2021

Pour les Scouts et Guides de France (SGDF), la démarche proposée par l’encyclique Laudato si’ est un beau défi éducatif, qui invite à une véritable conversion des relations. Rencontre avec le P. Xavier de Verchère, aumônier national des SGDF. Par Florence de Maistre.

Écologie intégrale, éducation, scoutisme sont-ils, pour vous, de fait, liés ?

Oui, nous sommes un mouvement d’éducation. Avant l’écologie intégrale nous parlions du développement intégral de la personne, en insistant pour qu’aucune de ses dimensions affective, corporelle, spirituelle, intellectuelle, etc., ne soient séparées. C’est un de nos piliers. C’est dans la relation éducative, l’attention à chacun et dans chaque activité scoute qu’un tissage se fait au sein de la personne. Au fur et à mesure que le jeune découvre un domaine de progression personnelle, il est encouragé à prendre des responsabilités, y compris dans les jeux et la vie d’équipe, à aller également vers les domaines dans lesquels il est moins à l’aise. Assez vite, le scout est préparé à ce regard global de l’écologie intégrale. C’est notre façon d’être citoyen : au cœur de la progression scoute, le jeune s’épanouit, il peut s’investir dans le monde. Lorsque j’ai lu l’encyclique Laudato si’ pour la première fois, j’ai retrouvé nombre d’éléments assez naturels. Il est vrai que la vie de camp partagée avec les jeunes du matin jusqu’au soir prépare très bien à cette démarche !

En quoi l’écologie intégrale est-elle un levier d’éducation ?

Nous avons cette mission de croissance des personnes, sous-tendue par l’appel de Baden Powell à créer un monde meilleur. Le lien entre le jeune, l’unité scoute et le monde dans ses aspects environnementaux et naturels est évident. Lorsque ça se passe mal, que la météo n’est pas favorable, on se rend bien compte que le monde extérieur n’est pas une abstraction : il y a tout un apprentissage de la vie en plein air. Chez les Scouts et Guides de France, nous vivons également le rapport au monde par le service, l’idéal du service. Nous développons un discours positif sur le monde au sens social du terme, avec ses différentes cultures et religions. Nos unités sont très à l’aise dans les projets nationaux de solidarité comme participer à la banque alimentaire ou porter la lumière de Bethléem dans les Ehpad. Nous accueillons des migrants dans les camps, organisons des camps-découvertes pour des jeunes non-scouts. Nous évoluons dans le monde tel qu’il est avec ses joies et ses peines, et avec le soutien de la fraternité mondiale de l’organisation scoute. Les jeunes sont heureux d’aider les autres, ils en témoignent.

Comment les scouts ressentent-ils que “tout est lié” ?

Avec nos projets d’éducation à la paix, les pionniers (14-17) et les compagnons (17-21 ans), en particulier, ceux qui participent à des chantiers de reconstruction, comme Saint-Martin (Antilles) après le passage de l’ouragan, ou ceux qui se forment à la prévention des feux de forêt commencent à sentir dans leur chair cette affaire-là. Ils se rendent compte qu’on ne peut séparer l’environnement naturel et la société. Leurs retours d’expériences en Europe et à l’international sont traversés par des débats et agités de diverses opinions. À la lecture de l’encyclique, l’expression “Tout est lié”, nous a fortement interpellée : c’est une réalité ! Pour la concrétiser, nous avons voté la résolution “Vers une conversion écologique” à une très large majorité à l’assemblée générale de 2020. Il s’agit de mettre en œuvre Laudato si’ en intégrant sa dimension spirituelle, en parlant de conversion y compris dans les liens entre les personnes. C’est plus fort, que de ne s’intéresser qu’à limiter notre impact carbone ! Sur le plan pastoral, ça permet de relier foi et œuvres, pour reprendre les mots de saint Jacques.

Y-a-t-il urgence au regard de l’actualité, de la situation sanitaire ?

Nous sommes des gens d’action et les jeunes nous alarment aussi. C’est eux qui nous alertent sur la planète et leur volonté de changement. Leurs générations sont forcément concernées. Il s’agit de les accompagner pour qu’ils appréhendent aussi le lien avec les inégalités sociales et entre les différentes crises perçues : conflits, changements climatiques, désertifications, famines, migrations, etc. C’est dès maintenant que l’on peut accueillir dans nos unités un jeune ou une famille au parcours chaotique. L’impact est petit, mais ces bouleversements invitent à ouvrir nos regards et à surmonter ces épreuves, ensemble. La crise du Covid le montre. Malgré les conditions sanitaires difficiles, nos effectifs sont en augmentation. Nous avons dépassé cet été les 90 000 membres. Les unités s’adaptent aux protocoles. Nous éduquons aussi aux situations nouvelles. La crise nous oblige à aller plus loin dans cette démarche. En lien avec le Ministère de la jeunesse et des sports, nous avons accueilli l’an dernier plus de 400 enfants et jeunes dans des camps spécialisés à Jambville et renouvelé la démarche cet été. Avec pour seuls objectifs d’offrir une chance de partir en vacances, de découvrir le campisme et la vie d’équipe. Au plus fort de la crise sanitaire, nous avons essayé de garder le lien avec les équipes grâce aux outils numériques. Plus concrètement, nombre de jeunes sont allés proposer leur aide dans les établissements d’action sociale, dans les maisons de la protection de l’enfance, auprès des personnes âgées ou des plus démunis, aux côtés des équipes de soignants, etc.*

Quels sont vos projets pour cette rentrée 2021-2022 ?

Nous allons essayer de redémarrer nos activités, avec, espérons-le, moins de contraintes. Je voudrais souligner, que nous avons perçu encore plus fortement cet été le mal-être des jeunes. Les équipes vont redoubler d’attention pour prendre plus de temps d’écoute et proposer des activités qui sortent les jeunes de chez eux, en veillant à un rythme calme. Nous sommes encore dans la période de la fête de notre centenaire : une démarche pèlerine initiée l’an dernier pour trois ans en équipe, en unité ou en territoire est proposée, pour vivre une expérience de ressourcement. Que ce soit vers le Mont Saint-Michel, sur une étape du chemin de Saint-Jacques, ou ailleurs, au cours d’un ou plusieurs jours, l’idée est de retrouver le sens spirituel du pèlerinage et de célébrer ensemble. Et ceux qui ne peuvent marcher peuvent s’engager au service des pèlerins !

Que retenez-vous encore de l’encyclique Laudato si’ ?

Ce n’est pas une encyclique comme les autres ! Le pape François voyait l’Église au bord du chemin sur cette question écologique, or elle devait en être la locomotive : être présente au cœur de ces enjeux est la priorité de l’Église ! On ne peut pas être chrétien sans s’intéresser à la question de la Création ! La démarche peut être vécue comme très difficile et stressante, le pape en fait une belle aventure spirituelle. Il ne s’agit pas de vendre du rêve sur des risques effrayants, catastrophiques, face aux multiples conséquences du réchauffement climatique et à la souffrance des personnes, mais c’est un beau défi au niveau éducatif. La démarche nous replace au cœur de l’essentiel, dans la spiritualité de la dynamique d’alliance avec Dieu et la Création. À la crise dramatique, retrouvons l’essentiel et répondons avec joie ! La tension est très forte, elle nous met en mouvement. À vue humaine les indicateurs sont au rouge, le chantier est au-delà de nos forces et de nos capacités. Ne nous décourageons pas, Dieu est là ! La puissance de la Résurrection est aussi inhérente à la Création. J’insiste, en Église, nous pouvons mener à bien ce projet, car nous ne sommes pas seuls ! Voilà l’espérance chrétienne et le message qui doit toucher ! Autre point qui me touche particulièrement dans cette encyclique : le lien que le pape fait entre spiritualité et sciences qui s’éclairent et apportent leurs contributions. Pour les chefs et cheftaines qui peuvent avoir du mal avec le discours de l’Église, voilà une approche intéressante. D’ailleurs, nous offrons l’encyclique aux participants des stages de formation BAFD et travaillons le texte chaque jour pendant 45 min. C’est un temps d’intelligence de la foi. Les stagiaires découvrent l’encyclique, mettent des mots sur des choses ressenties très profondément mais non formulées. Ils sont nombreux à nous remercier. L’Église annonce non seulement la Bonne Nouvelle, mais elle est aussi verbe ! Laudato si’ ne consiste pas seulement à appliquer les bons gestes mais à convertir les mentalités. C’est à un changement radical d’état d’esprit que nous sommes appelés, pour inventer de nouveaux modèles et ouvrir des chemins d’humanité pour tout le monde. C’est aussi une façon de suivre les Béatitudes, en vivant autrement et heureux. Cela nous remet dans notre condition de créatures en relation avec d’autres. L’encyclique marche bien avec les jeunes, c’est du pain béni ! De même que Fratelli tutti qui sera abordé dans notre prochain plan d’orientation, à l’assemblée générale de Pâques 2022.

*Paroles de jeunes engagés au plus près des besoins

Madeleine, cheftaine dans la Vallée de Chevreuse, engagée comme brancardière de nuit au centre hospitalier d’Orsay : « Mes études d’éducatrice spécialisée s’achevaient en mars et je ne me voyais pas rester devant ma télé ! J’ai postulé dès le début du confinement. J’étais principalement affectée aux urgences pour déplacer les patients et je me suis vraiment sentie utile pour aider dans cette tâche assez simple mais exigeante physiquement. Ce que je garderai de cette expérience, c’est l’accueil de l’équipe des urgences, très soudée, tous métiers confondus. Des personnes chaleureuses, accueillantes qui m’ont tout expliqué et qui m’ont permis de trouver ma place. »

 

Anne, cheftaine à Nantes, engagée dans un Ehpad comme agent de service hospitalier : « Grâce à cette mission, j’ai pu aider les personnes âgées au quotidien : assurer le lever et la toilette, servir les repas, débarrasser, distribuer les médicaments et faire des petits soins esthétiques, puisqu’il n’y avait plus ni pédicure ni esthéticienne. Leur reconnaissance a été une vraie récompense. Certains mots ou certains gestes m’ont beaucoup touchée, comme la joie d’une résidente à qui j’avais proposé de sortir dans le parc pour un moment pour discuter toutes les deux ».

Laetitia, cheftaine dans l’Ain, a rejoint la Réserve civique pour aider la Banque alimentaire : “ J’aimais leur concept : recevoir les aliments invendus des supermarchés, les trier et les reconditionner pour des dons ou de la vente à des personnes dans le besoin. Chez les scouts, j’ai appris à écouter, à rendre service spontanément, à créer du lien. À la Banque alimentaire, j’ai naturellement mis en œuvre ces compétences pour trouver ma place. Vivre une expérience comme celle-ci fait énormément grandir et réfléchir ! »

Les groupes de Mulhouse se sont fortement mobilisés pour aider l’association des Couturières solidaires, Pascale explique : « Pour aider notre ville, nous avons participé à la mise en place d’un système de production et de distribution de masques en tissu et de visières de protection. Familles, jeunes, chefs et responsables : des centaines de bénévoles ont participé pour produire et distribuer des milliers de masques ! Ce système a profité du savoir-faire scout et de l’expérience d’organisation propre à nos rassemblements. L’expertise logistique et l’exigence de qualité sont de vrais atouts que nous avons mis en œuvre pour aider nos voisins. »

https://www.sgdf.fr

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