Mag #7 7 – Septième numéro Comprendre
La dignité de la personne humaine selon Laudato Si’ et Fratelli tutti
La reconnaissance et le respect de la dignité de la personne humaine sont au centre de la pensée sociale de l’Église. Le Concile Vatican II dans sa constitution pastorale Gaudium et Spes (GS) a souligné le caractère inaliénable de cette dignité et posé le cadre anthropologique et théologique de cette reconnaissance : « Croyants et incroyants sont généralement d’accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet » (GS 12).
Ce consensus semble fragile en ce début de XXIe siècle tant les désordres éco-systémiques font peser une hypothèque « écologique » sur cette centralité du concept de dignité. Pourtant le pape François maintient cette centralité en la repositionnant au sein d’un cosmos créé où « tout est lié ». Avec Laudato si’ (LS) et Fratelli tutti (FT) il offre deux manières d’entrer dans la discussion sur le respect inconditionnel de la dignité de la personne humaine à partir des plus petits, des plus oubliés, de ces sœurs et de ces frères dont on n’entend plus le cri… Il emprunte ce chemin d’écoute ou de « lecture des signes des temps » (GS 4) en faisant dialoguer analyse du réel et parole de Dieu comme sources pour une quête de sens : comment se joue dans notre monde cette reconnaissance de la dignité inaliénable de chaque être en tant qu’être ?
- Une anthropologie relationnelle à partir des exclus
Le texte de référence choisi pour réactiver notre capacité à sortir de soi vers l’autre est la parabole du Bon Samaritain car « la parabole se présente de telle manière que chacun d’entre nous peut se laisser interpeller par elle » (FT 56) : chacun, chacune, quelle que soit son chemin de vie …
« Le récit, disons-le clairement, n’offre pas un enseignement sur des idéaux abstraits, ni ne peut être réduit à une leçon de morale éthico-sociale. Il nous révèle une caractéristique essentielle de l’être humain, si souvent oubliée : nous avons été créés pour une plénitude qui n’est atteinte que dans l’amour. Vivre dans l’indifférence face à la douleur n’est pas une option possible ; nous ne pouvons laisser personne rester ‘‘en marge de la vie’’. Cela devrait nous indigner au point de nous faire perdre la sérénité, parce que nous aurions été perturbés par la souffrance humaine. C’est cela la dignité ! » (FT 68)
Le pape choisit de faire cheminer notre reconnaissance de cette dignité inaliénable à partir de situations qui la nient : entrer dans la conscience morale « en acte » est une voie éducative qui stimule l’intelligence émotionnelle et forme l’intériorité du sujet de sorte que la valeur de l’autre différent, oublié sur le sentier, sans voix, puisse être reconnue et sa vie blessée accueillie et soutenue, relevée et soignée. Reconnaître en vérité la dignité inaliénable de l’autre en tant qu’autre, au cœur de toutes nos défigurations, suppose un cœur attentif et aimant … un apprentissage long et patient qui requiert le meilleur de nous- même. « Il (Jésus) se fie au meilleur de l’esprit humain et l’encourage, par la parabole, à adhérer à l’amour, à réintégrer l’homme souffrant et à bâtir une société digne de ce nom. » (FT 71). Le pape analyse avec lucidité tous les freins à cette attitude solidaire et attentive mais fait le pari de l’intelligence éclairée par l’amour : les difficultés de ce « prendre soin » invitent à la mobilisation d’un « nous » qui « soit plus fort que la somme des petites individualités » (LS 78). Nous retrouvons ici un point central de l’anthropologie relationnelle déployée par le pape François : il nous faut constituer un « nous » qui habite la maison commune. Cet appel qui retentit dès le numéro 17 de FT institue cette encyclique comme le second volet d’une fresque de la fraternité universelle initiée dans Laudato si’. Les chrétiens sont invités à raviver cette conviction née du plus ajusté de leur foi (FT 86).
- Une dignité inaliénable au cœur d’un cosmos remis à notre responsabilité
Cette loi d’extase « sortir de soi-même » pour accueillir l’autre et en prendre soin prend aujourd’hui une allure cosmique :
« Le monde existe pour tous, car nous tous, en tant qu’êtres humains, nous naissons sur cette terre avec la même dignité. Les différences de couleur, de religion, de capacités, de lieu de naissance, de lieu de résidence, et tant d’autres différences, ne peuvent pas être priorisées ou utilisées pour justifier les privilèges de certains sur les droits de tous. Par conséquent, en tant que communauté́, nous sommes appelés à veiller à ce que chaque personne vive dans la dignité et ait des opportunités appropriées pour son développement intégral. » (FT 118).
Cette insistance permet de reformuler une juste compréhension de cette dignité inaliénable et sacrée au sein d’une vie marquée par une quadruple relation : avec soi- même, les autres, le cosmos et Dieu (LS 70). Elle invite l’humain à se tenir à distance de tout anthropocentrisme dévié, assumant un théocentrisme de dons reçus et d’alliance vécue et guidé par la prise en charge responsable de ce monde remis entre ses mains : « Un monde fragile avec un être humain à qui Dieu en confie le soin interpelle notre intelligence pour reconnaître comment nous devrions orienter, cultiver et limiter notre pouvoir » (LS 78)
Ainsi, la fidélité du pape au concile Vatican II se signale par une reprise créatrice de la formule citée en introduction de cet article :
« Aujourd’hui croyants et non croyants, nous sommes d’accord sur le fait que la terre est essentiellement un héritage commun, dont les fruits doivent bénéficier à tous. Pour les croyants cela devient une question de fidélité au Créateur, puisque Dieu a créé le monde pour tous. Par conséquent, toute approche écologique doit incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des plus défavorisés » (LS 93)
Les enjeux planétaires de cette responsabilité invitent toutes les femmes et hommes de bonne volonté à entrer résolument dans une culture du dialogue et du respect inconditionnel de la valeur propre de chaque élément du créé : défi éducatif et éthique qui requiert l’inclusion de tous à partir de l’écoute des « sans-voix ».
Mme Dominique Coatanea
Centre Sèvres – Facultés jésuites à Paris
Commission Justice et Paix-France