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Mag #8
8 – Huitième numéro
Comprendre

Le sport, un moteur de changement pour l’amélioration de la société

Publié le 3 septembre 2021

Interview avec Santiago Pérez de Camino Responsable du Bureau Eglise et Sport du Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie.

Quelles sont, à votre avis, les racines du sport dans l’écologie ? Pourquoi relier sport et écologie ?

Tout d’abord, je voudrais faire une remarque préliminaire. Le sport moderne tel que nous le connaissions avant la pandémie est lié à l’industrialisation moderne. Le sport est né comme un jeu, comme une activité de loisir pendant le temps libre après le travail.

Dans Laudato Si’, le pape François affirme que l’écologie n’est pas seulement une question environnementale liée à la préservation de la création, mais qu’elle est essentiellement une question anthropologique et culturelle. En ce sens, la pratique du sport est ancrée dans cette écologie intégrale en tant qu’élément qui donne un équilibre à l’ensemble de la création. Aux débuts du sport, le sport faisait la différence entre le travail et le temps libre et était également considéré comme un moyen d’éduquer la jeune génération.

Dans le contexte actuel de pandémie, la nécessité de récupérer du temps libre est évidente. De nos jours, nous devons faire face au mélange des espaces et des temps de la vie, en raison de la « confusion » du travail et du temps libre. Le sport peut contribuer à mettre de l’ordre dans ce mélange, en aidant à créer des espaces de régénération, riches en proximité physique, en socialisation, en divertissement, en improductivité, en gratuité et en signification.

Nous vivons actuellement une crise profonde dans le monde du sport. Plus que jamais, il est nécessaire de valoriser le sport en tant qu’instrument permettant de retrouver le sens de la célébration du repos, du loisir, du plaisir (au sens étymologique d’amusement) et du jeu[1].

Tout ceci n’enlève rien à l’aspect environnemental et à la valeur de la nature et de la création dans la pratique de certains sports, au niveau amateur ou professionnel, mais le véritable défi pour un enracinement du sport dans une écologie intégrale se situe ici.

 

Le sport professionnel est-il à la hauteur des défis environnementaux actuels ?

À mon avis, le sport professionnel doit faire un effort honnête et cohérent pour relever les défis écologiques et anthropologiques du monde d’aujourd’hui. Tout simplement parce que le sport professionnel, dans de nombreux endroits, a perdu le sens du jeu et est devenu un business. Et par conséquent, il cherche toujours à réaliser un profit maximal. Le pape a répété à plusieurs reprises aux sportifs professionnels l’importance de ne pas perdre ce sens « amateur » du sport, du « jeu ».

Il ne sert pas à grand-chose que le sport professionnel mène des campagnes de sensibilisation sur le plastique, le papier ou l’eau s’il ne tient pas compte ensuite de l’interconnexion de tous les éléments sociaux : le lieu où le sport est pratiqué, la société et la culture qui en sont affectées, les matériaux qui sont utilisés, l’exemple qui est donné aux nouvelles générations, etc… Il est important que la transition écologique ne soit pas seulement écologique et momentanée, durant le temps que dure une campagne de sensibilisation, mais qu’elle soit un changement de mentalité. Comme le dit le pape François dans Laudato si’ « la culture écologique ne peut pas être réduite à une série de réponses urgentes et partielles aux problèmes qui apparaissent autour de la dégradation de l’environnement, de l’épuisement des ressources naturelles et de la pollution. Il devrait s’agir d’un regard différent, d’un mode de pensée, d’une politique, d’un programme éducatif, d’un mode de vie et d’une spiritualité qui constituent une résistance à l’avancée du paradigme technocratique. « [2]

 

La stratégie des clubs dans leur ensemble est parfois confrontée à la réalité économique et à leurs stratégies commerciales. Est-il difficile de faire cohabiter sport et écologie ?

Certes, la société consumériste et relativiste dans laquelle nous vivons n’aide pas, mais ce n’est pas impossible. Le système sportif dont nous héritons et que la pandémie a accentué (primauté du succès et du coût sur le jeu et l’inclusion ; dépenses exorbitantes, etc …) connaît aujourd’hui une crise dont, comme le dit le Pape, il n’est pas possible de sortir comme avant. Soit il en ressort plus fort, à la recherche d’un sport plus inclusif, plus accessible et plus durable, où chacun est inclus et où chacun peut accéder au sport, soit il finira par succomber à sa propre crise.

Nous avons besoin d’un sport où l’impact des activités, des événements et des initiatives est pris en compte, non seulement au niveau environnemental mais aussi du point de vue de la distribution des richesses, de l’inclusion des personnes qui, aujourd’hui, ne peuvent pas accéder au sport. Paradoxalement, la compétition sportive, si elle ne dégénère pas en recherche d’un résultat à tout prix, peut être l’un des leviers les plus efficaces et les plus importants dans le parcours éducatif, et donc pastoral, du sport.

Un sport qui tient compte de l’empreinte écologique partout où il passe (Jeux olympiques, championnats du monde, championnats continentaux, etc.) est enraciné dans une communauté qui l’aide à atteindre son objectif de durabilité sociale et environnementale.

 

Que peut faire l’Église pour aider les organisateurs de manifestations ou d’installations sportives à améliorer leur éco-responsabilité et à avoir un impact moindre sur le climat ? Nous pensons notamment aux chartes d’engagement éco-responsables. Par exemple, le modèle de charte sportive de 15 engagements éco-responsables avec le WWF.

Je pense certainement que l’essentiel, comme je l’ai expliqué précédemment, est une transformation écologique dans tous les domaines du sport, tant sur le plan environnemental que sur le plan social et humain.

Je pense qu’il est difficile pour l’Église de donner des paramètres au niveau international qui puissent être utiles dans le monde entier, car ce qui peut être fondamental sur un continent peut être pratiquement inexistant sur un autre. Cependant, il existe des pratiques qui, adaptées au pays et à l’organisation, peuvent constituer un bon point de départ. Par exemple, le réseau international des ONG catholiques de développement, la CIDSE, propose – et je pense à juste titre – sur la base d’un programme d’objectifs et d’évaluations de la transition écologique une série de mesures à prendre en interne pour réaliser une transformation verte dans l’organisation :

  1. Intégrer les travaux sur les empreintes écologiques dans les instruments stratégiques et de planification de votre organisation,
  2. Disposer de ressources dédiées (à la fois en termes de budget et de personnel),
  3. Assurez-vous qu’il existe un large soutien au sein de votre organisation,
  4. Communiquez à l’extérieur sur les travaux relatifs à votre empreinte écologique,
  5. Partager les expériences avec d’autres organisations, partenaires et réseaux.[3]

Enfin, il est intéressant de voir comment l’Église, dirigée par le pape, « montre l’exemple ». Du recyclage des déchets à la lutte pour l’élimination du plastique sur le lieu de travail, en passant par l’économie de la consommation de papier… Ce sont tous de petits symboles, mais ils montrent que Laudato si’ n’est pas seulement une belle encyclique, mais une véritable proposition pour prendre soin de la Création à tous points de vue.

 

Voyez-vous des obstacles ou des idées préconçues à surmonter concernant la position de l’Église dans le sport ? Nous pensons au retour des patronages paroissiaux, qui semble être un sujet d’actualité en France.

Je ne connais pas la réalité des patronages paroissiaux en France. Cependant, je crois que l’Église a beaucoup à dire dans le monde du sport. L’Église et le monde du sport sont parfois perçus comme deux sujets parallèles, et pourtant ce sont deux entités qui s’intègrent parfaitement dans la pastorale des jeunes, dans les oratoires de jeunes – si présents en Italie – ou dans les activités extrascolaires des écoles catholiques.

Le sport est un instrument naturel de formation des nouvelles générations, leur permettant, dans une atmosphère de jeu et de plaisir, d’acquérir des valeurs profondément chrétiennes telles que la générosité, le sacrifice, la liberté, la camaraderie, etc. qui aident à grandir.

D’autre part, l’Église est un point de référence éthique dans la prise de décision, et sa position n’est pas influencée par des intérêts idéologiques, économiques ou de profit. L’Église veut que tout le monde soit heureux et montre, également à travers le sport, comment les gens peuvent apprendre à connaître et à aimer Dieu.

 

L’écologie a souvent été négligée par les organisations sportives, qui sont en revanche très actives dans le domaine social et dans celui de la solidarité. Est-ce que cela change ? Plus précisément, si un club ou un événement souhaite accélérer ses activités environnementales, quelles sont les meilleures actions à entreprendre ?

Il est important de reconnaître les efforts de nombreuses organisations sportives pour prendre soin et promouvoir des initiatives de protection de l’environnement, ainsi que des initiatives sociales ou de bien-être. Nous constatons que de nombreuses organisations incluent tous ces aspects dans leurs normes réglementaires. Par exemple, cet été, le CIO a actualisé le serment des participants aux Jeux olympiques, qui s’engagent à « respecter et à se conformer aux règles, dans un esprit de fair-play, d’inclusion et d’égalité […] sans aucune forme de discrimination ». Nous le faisons […] et pour rendre le monde meilleur grâce au sport « .[4]

Néanmoins, si une véritable transition écologique doit être réalisée, elle doit passer par un changement de mentalité dans la conception du club et la gestion de ses activités.

Le document « Donner le meilleur de soi-même », qui est le premier document du Saint-Siège sur la vision chrétienne du sport, souligne qu’un facteur de changement est la gratuité dans (certaines) de ses activités et en particulier le bénévolat dans la gestion de ses activités.[5]

D’autre part, l’écologie intégrale comprend une dimension sociale, et le sport est également une dimension communautaire : « ensemble, nous sommes plus forts ». Il est donc important que l’activité sportive, qu’elle soit professionnelle ou amateur, soit « adoptée » par une communauté locale, afin de limiter les risques de ne pas supporter le poids de la crise économique à court terme d’une part, du déclin démographique à moyen terme et des changements culturels à long terme d’autre part. Sinon, leur destin sera de succomber à la logique d’échelle, qui fournira (et ce phénomène a déjà commencé ces dernières années) de grandes installations sportives et des clubs qui agiront comme des pôles d’attraction, sûrement plus efficaces, probablement aussi plus impersonnels et moins capillaires.[6]

Enfin, il est intéressant de voir le pouvoir d’influence que peut avoir le sport. Cela pourrait servir à sélectionner soigneusement les sponsors et les parrainages, en exigeant de ces entreprises des engagements en faveur de la transformation écologique et en promouvant des valeurs qui contribuent à façonner la société de demain.

 

Il y a des sportifs engagés, d’autres qui sont convaincus mais silencieux, et d’autres encore qui ne se soucient pas du tout, ou pas encore, de ces questions. Quelle est l’importance du rôle des sportifs dans la sensibilisation des acteurs du sport et du grand public ?

Effectivement, les sportifs ont un rôle majeur. Le pape, lors d’une audience avec une équipe de football espagnole en 2017, a déclaré : « Quand vous jouez au football, vous êtes en même temps en train d’éduquer et de transmettre des valeurs. Beaucoup de gens, surtout les jeunes, vous admirent et vous observent. Ils veulent être comme vous. Par votre professionnalisme, vous transmettez une manière d’être à ceux qui vous suivent, notamment aux nouvelles générations. Et ceci est une responsabilité et doit vous motiver à donner le meilleur de vous-mêmes pour exercer ces valeurs qui dans le football doivent être palpables « .[7]

C’est pourquoi il est essentiel que les organisations sportives mettent en place des campagnes de sensibilisation internes, tout d’abord, afin que les sportifs soient formés à la nécessité de prendre soin de notre maison commune, la Création, et des personnes qui y vivent.

 

Que souhaiteriez-vous voir se produire pour faire progresser le sport et l’écologie ?

Tout d’abord, de nombreuses personnes ne voient pas le lien direct entre le sport et l’écologie. Il faut que cela change. Un effort éducatif est nécessaire à tous les niveaux (écoles, universités, clubs, gouvernements, ONG…) pour sensibiliser les gens à l’importance de l’écologie intégrale dans toutes nos activités, y compris dans le sport.

Ensuite, notre ambition est de faire passer ce message : si le sport s’adresse aux plus faibles, on touche aussi les plus forts et les plus riches. Et cela nous oblige également à tenir compte des conditions environnementales dans lesquelles nous opérons. Si nous nous concentrons uniquement sur le sport d’élite, nous exclurons de nombreuses personnes et oublierons la situation sociale, environnementale et économique dans laquelle nous vivons. Et les sportifs ont un rôle très précieux à jouer en tant qu’éducateurs dans la société. Espérons qu’avec leurs actions et leur cohérence, ils seront un moteur de changement pour l’amélioration de la société.

[1] 1 CONFERENCE EPISCOPALE ITALIENNE, Sport et écologie intégrale, pour une conversion pastorale, in Note di Pastorale Giovanile NPG 2021-04-37

[2] FRANCOIS, Laudato si’ 111. http://www.laudatosi.va. La Plateforme d’Action Laudato si’ présentée par le Pape avec un message vidéo lors de la conférence de presse du 25 mai 2021 est également intéressante à ce sujet.

[3] CIDSE, Coopération Internationale pour le Développement et la Solidarité. https://ecologicalfootprint.cidse.org/en/

[4] https://olympics.com/ioc/faq/games-ceremonies-and-protocol/what-is-the-olympic-oath

[5] DICASTERE POUR LES LAICS, LA FAMILLE ET LA VIE, Donner le meilleur de soi-même. Sur la perspective chrétienne du sport et de la personne humaine (1er juin 2018), point 5.4. http://www.laityfamilylife.va/content/laityfamilylife/fr/sezione-laici/i-papi-e-lo-sport/donner-le-meilleur-de-soi-meme.html

[6] IDEM, point 5.5

[7] FRANCOIS, Discours à une représentation du Villarreal C.F. dans la salle Clementina, le 23 février 2017.

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