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Mag #9
9 – Neuvième numéro
Comprendre

L’enseignement supérieur dans la transition écologique et sociale

Publié le 16 septembre 2021
L’enseignement supérieur dans la transition écologique et sociale

En 2018, plus de 30 000 étudiants, dont les initiateurs étaient issus des meilleures grandes écoles françaises, ont signé un manifeste pour un réveil écologique, pointant du doigt l’absence généralisée du traitement des problématiques de transition écologique et sociale dans leurs formations.

Alors que l’urgence est de plus en plus manifeste, leur quête de sens dans leurs engagements, personnels et professionnels, se fait de plus en plus pressante et le fonctionnement de l’enseignement supérieur n’est pas à la hauteur. En effet, à l’ère de l’Anthropocène, où nous savons maintenant de manière claire que l’action humaine exerce une pression insoutenable sur les écosystèmes, une approche abstraite et quantitative des problèmes n’est plus suffisante, notamment pour mobiliser ces jeunes. Notre système éducatif porte une responsabilité forte tandis qu’apparait le paradoxe de l’existence d’institutions permettant l’approfondissement et la transmission de savoirs très élaborés mais qui ont oublié les modes de vie durables de nos aïeux, ou de sociétés contemporaines dépourvus des mêmes moyens que nous. Dès lors l’enjeu majeur de l’enseignement supérieur devrait être de favoriser l’accès des étudiants à des ressources, et de leur permettre de se les approprier au mieux, afin de donner du sens à leur existence en contribuant à un futur désirable pour tous.

Pourtant, nous relevons plusieurs obstacles à cet objectif. Le premier tient à des contenus enseignés qui sont incomplets, avec une structuration largement en silos de savoirs disciplinaires qui laissent à penser que la question écologique est une parmi d’autres, éventuellement optionnelle. Dès lors, le traitement des crises environnementales est absent de la majorité des cursus supérieurs, en dehors de quelques formations de niche. Il devient alors très délicat d’avoir une approche globale de ces enjeux, qui permette le développement d’un esprit critique, tout en intégrant explicitement leur dimension intrinsèquement politique. Ensuite, la manière dont les matières sont enseignées est aussi largement en cause : la raison logique et l’acquisition de connaissances sont largement privilégiées là où les émotions devraient aussi être mobilisées, notamment pour permettre à des sensibilités d’apprentissage différentes de bien s’approprier ces questions. Dans un tel cadre, les savoir-faire et savoir-être, lieu d’expression privilégié de compétences esthétiques, pratiques ou relationnelles, et non pas uniquement intellectuelles, sont mécaniquement exclus ou dévalorisés. Enfin, il est important de mentionner le rôle de la structuration des carrières des enseignants-chercheurs, quasi-uniquement évalués sur leur performance de chercheurs, dans un contexte national et international de plus en plus concurrentiel, qui ne leur laisse que peu d’espace pour se former eux-mêmes à ces enjeux de grande transition et pour ainsi pouvoir l’intégrer dans leurs enseignements.

Pour répondre à ces défis, deux leviers d’action nous semblent essentiels, afin de renouveler les méthodes ainsi que d’adapter les contenus enseignés. Il s’agit d’une part de proposer des cours largement interdisciplinaires, permettant de rentrer dans la complexité du monde en faisant écho au « tout est lié » du Pape François dans Laudato Si. Loin d’être indépendants, il est par exemple essentiel de bien comprendre en quoi nos modes de vie, d’organisation, de production ou de consommation sont à la racine des crises environnementales vécues. D’autre part, il convient d’adopter une pédagogie capable de prendre en compte toutes les dimensions de la personne, qui soit pleinement systémique, pour s’adresser toujours à l’intellect, mais aussi laisser place aux émotions voire à une forme d’enracinement, corporel, ancré dans les milieux vivants et les cultures humaines.

Ces deux leviers sont au cœur de l’expérience vécue au Campus de la transition, association fondée par un collectif d’enseignants chercheurs en 2017, qui accueille des étudiants d’écoles et d’universités depuis lors en proposant des formations et séminaires en immersion. Une demande adressée par la Ministre de l’enseignement supérieur au Campus de la Transition en 2019 a conduit à l’écriture d’un socle inter et transdisciplinaire de connaissances et compétences pour la transition, Manuel de la Grande Transition (Les liens qui libèrent, 2020), ouvrage collectif à destination de l’enseignement supérieur. Le Campus se positionne ainsi comme pionnier et laboratoire pour contribuer, pour sa part, en réseau avec d’autres, à des transformations des cours, des cursus et des pédagogies à l’échelle nationale. Ainsi un partenariat a été mis en place avec l’université de Cergy (CY) afin d’accompagner la transformation des cursus, en commençant par ceux de l’école d’ingénieur. De nombreuses initiatives voient également le jour, autour de projets nouveaux ou de la mise en mouvement d’écoles et d’universités dans divers territoires. Les défis sont immenses mais une dynamique est lancée.

Cécile Renouard & Pierre-Jean Cottalorda

Pour aller plus loin :

Le numéro de la revue des Annales des minesResponsabilité et environnement, Cécile Renouard et Rémi Beau, coord., « l’enseignement et la formation dans la transition écologique et sociétale » (janvier 2021, n°101, qui a été aussi publié en ligne)

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