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Mag #9
9 – Neuvième numéro
Comprendre

Penser une éducation pour le monde qui vient

Publié le 16 septembre 2021
Penser une éducation pour le monde qui vient

L’appel du pape François à se mobiliser collectivement pour la sauvegarde de notre maison commune est aujourd’hui réitéré par son invitation à nous engager dans un pacte éducatif global.

Pacte global pour une éducation intégrale… Nous voilà tous appelés, dans ce monde fragmenté et incertain, à penser autrement l’acte éducatif, seul capable d’engendrer les transformations nécessaires à un monde plus juste et une société plus fraternelle.

A quoi nous engage cette invitation ? A quelles transformations devons-nous travailler ? Quelles sont nos responsabilités de chrétiens ?

L’écologie intégrale à laquelle le pape nous invite dans Laudato Si implique, pour nous éducateurs chrétiens, de penser une éducation intégrale permettant de prendre en compte le fait que « tout est lié » et que nous avons à développer autrement, dans nos propositions éducatives, les quatre niveaux de relation : la relation à soi, aux autres, à la création et à Dieu.

S’appuyant sur la définition qu’en donnait le Cardinal Parolin en 2015 à l’UNESCO «  capacité d’assurer un processus qui tienne sur le même plan le développement cognitif, psychologique, pragmatique et manuel, affectif et spirituel », François Moog présente la qualificatif « intégral » comme le pivot de l’éducation catholique car il nous invite à « tenir ensemble le développement de toutes les facultés humaines de l’élève, sa préparation à la vie professionnelle, la formation de son sens éthique et social, son ouverture à la transcendance et son éducation religieuse ». (F Moog Transversalités 2017)

L’éducation catholique, pensée comme éducation intégrale, propose une nouvelle cohérence éducative à partir du moment où :

  • elle réaffirme un fondement anthropologique ouvert et pluriel respectant l’unité et la diversité de la personne humaine ;
  • elle est en résonnance avec la pédagogie divine qui, parce qu’elle nous rappelle l’amour inconditionnel de Dieu, fonde le principe d’éducabilité en nous aidant à ne jamais désespérer d’aucune situation humaine ;
  • elle considère conjointement le plein épanouissement de la personne et la recherche du bien commun comme finalités unifiées de l’éducation.

Une éducation intégrale ainsi comprise et vécue appelle à opérer une transformation des pratiques éducatives afin qu’elles puissent respecter la complexité de la personne par la diversité des interventions éducatives proposées.

« L’éducation sera inefficace, et ses efforts seront vains, si elle n’essaie pas aussi de répandre un nouveau paradigme concernant l’être humain, la vie, la société et la relation avec la nature » (LS 215).

Si l’éducation est un droit fondamental à pouvoir jouir de l’ensemble de ses capacités, elle est aussi acte éthique qui constitue une composante essentielle de l’éducation du citoyen dont le village est désormais le monde. Penser l’éducation au développement, tel que nous le présente le pape François dans Laudato Si, nécessite d’envisager le développement d’une éducation qui soit un processus dynamique orienté vers le changement et l’action, visant un changement des valeurs et des attitudes individuelles et collectives en vue d’un monde plus juste dans lequel tous peuvent partager pouvoir et ressources.

Elle est également acte pédagogique et managérial permettant à tous de comprendre les enjeux et à chacun d’y trouver le chemin de son épanouissement : offrir à chaque personne la possibilité de devenir responsable de ses actes, de lui donner les moyens par l’information, l’appel à la réflexion et à l’action, de fonder des choix responsables et solidaires.

Elle est enfin acte politique invitant à se penser d’abord comme famille humaine et impliquant une vraie attention à l’articulation entre local et universel afin de préserver, comme nous y invite Fratelli Tutti, la tension féconde entre fraternité universelle et amitié sociale.

C’est bien par son projet éducatif, permettant la mise en œuvre d’une proposition éducative qualifiée que l’école pourra apporter des réponses aux défis auxquels elle est appelée.

Cette proposition éducative spécifique nécessite ainsi de renouveler les approches à trois niveaux :

 

Celui de l’acte pédagogique :

On pense trop souvent que pour apprendre il faut être enseigné. Quelle place sommes-nous prêts à faire aux trois types d’éducation : éducation formelle, nécessaire à la construction des compétences, éducation non formelle, indispensable à la quête de sens que nécessite tout apprentissage et éducation informelle qui valorise l’autonomie personnelle et la responsabilité ?

Quelques pistes parmi d’autres :

  • Faire de l’expérience la porte d’entrée des savoirs : l’autorité du savoir n’est plus liée à son statut mais à sa capacité à se traduire par un « faire ». Comment permettre aux élèves de donner sens aux savoirs construits tout en leur faisant faire l’expérience des compétences qu’ils construisent ?
  • Parmi ces expériences, vivre des moments de proximité avec la nature afin de sensibiliser les jeunes aux enjeux environnementaux et à la sauvegarde de notre planète. Les activités de sensibilisation habituellement proposées (tri sélectif, circuit court…) ne trouvent leur sens que s’ils sont mis au service d’enjeux perçus et vécus.
  • Développer un rapport au corps dynamique et équilibré qui ne peut se réduire aux activités sportives : les expériences de classe flexible, d’accessibilité universelle témoignent de la manière dont il est possible de faire place au corps dans l’ensemble des disciplines.
  • Dans les démarches proposées, veiller à prendre en compte les trois langages dont parle le pape François, le langage de la tête, celui du cœur et celui des mains :
    • favoriser le goût pour le nouveau et la confiance dans l’inconnu de manière à préparer à la gestion de l’incertitude qu’impliquent les changements perpétuels que nous vivons ;
    • proposer des espaces de parole et de débat développant l’esprit critique indispensable à la construction d’une autonomie de pensée ;
    • permettre aux élèves de faire l’expérience de la réussite et d’apprendre à travailler avec les erreurs ;
    • faire toute leur place à l’habilité manuelle, la débrouillardise et la créativité ;
    • dire la beauté et manifester la joie comme invitation à l’émerveillement qui encourage au prendre soin.

 

Celui de l’acte éducatif :

Il s’agit moins de venir à l’école pour « faire des maths, du français, du sport… » mais d’y apprendre à devenir quelqu’un en développant ses compétences et en faisant l’expérience du vivre ensemble. Quels processus éducatifs engager pour faire vivre des expériences d’altérité essentielles à la construction d’une fraternité vécue ?

Quelques pistes parmi d’autres :

  • Développer l’entraide et la coopération au sein d’engagements permettant de rendre les élèves responsables et de les rendre acteurs de leur développement.
  • Développer la dimension de service communautaire afin de faire l’expérience du vivre ensemble au sein d’activités bénévoles dont la seule visée est le service rendu à autrui.
  • Favoriser la connaissance de soi et prendre en compte les émotions afin d’aider chaque jeune à discerner ce qui est bon pour lui et pour les autres afin de l’aider à construire son rapport au savoir et au monde.
  • Construire un charité éducative fondée sur l’accueil de toutes les fragilités et suscitant confiance dans les capacités éducatives de chacun, bienveillance et soutien mutuel.
  • Proposer aux élèves des temps et activités de développement spirituel et humain leur offrant la possibilité de construire leur humanité en entrant en relation.

 

Celui de l’acte managérial :

De telles évolutions nécessitent de penser le pilotage des établissements en faisant des dimensions éducatives et pédagogiques le cœur de la gouvernance.

Eduquer dans l’esprit d’une écologie intégrale suppose des responsables qu’ils sachent vivre les tensions qu’implique la prise en compte de l’acte éducatif dans des établissements où se rencontrent deux libertés, celle des parents et celles des enseignants tout en gardant le cap d’un bien commun à tenir ensemble.

Les pistes sont nombreuses et nous choisissons ici de relever quelques-uns des questionnements importants à prendre en compte :

  • Quel rapport au monde proposons-nous dans nos établissements ? Quels types de relations favorisons-nous ?
  • Comment les membres d’une communauté éducative peuvent-ils collaborer pour dessiner ensemble la terre habitable ?
  • Comment garantir l’unité de la communauté éducative en faisant place et en respectant la diversité des personnes qui la composent ?
  • Comment, dans les pratiques managériales, faire place à tous et ouvrir les espaces de dialogue nécessaire à la construction de la confiance indispensable à la réalisation de l’œuvre éducative commune ?
  • Quel travail initier avec les équipes sur les postures éducatives de manière à diversifier les modalités de relation avec les élèves et quitter le trop fréquent face à face laissant trop peu de place aux pratiques collaboratives et aux initiatives personnelles ?
  • Que disent les procédures d’inscription, d’accueil… des pratiques d’hospitalité et de solidarité vécues dans l’établissement ?
  • Comment articuler dans les règlements intérieurs la promesse du projet et les interdits ?
  • Comment faire vivre une vraie coopération entre les différents acteurs de l’éducation, parents, enseignants, personnels ?
  • Quelles pratiques de solidarité, d’entraide, de sobriété, de gratuité envisager afin de tenir ensemble les défis liés à la crise écologique ?
  • Comment relier tout ceci avec la formation spirituelle et religieuse ?

 

En définitive, il me semble que les trois encycliques du Pape dessinent le chemin que nous avons aujourd’hui à emprunter pour aller vers l’alliance éducative nécessaire aux défis actuels.

Dans  Lumen Fidei , le pape François nous fait redécouvrir le caractère lumineux de la foi, qui éclaire l’existence. C’est par une foi qui connait ses fondements et ses visées que le chrétien peut trouver la voie de son accomplissement et la manière de le proposer aux autres.

Dans Laudato Si, le Pape nous alerte sur l’avenir de la planète et nous invite à prendre soin de la maison commune en nous rappelant que tout est lié, tout est donné et tout est fragile.

Dans Fratelli Tutti, il nous ouvre les pistes pour habiter la maison commune. Celles-ci constituent un véritable guide pour l’action éducative chrétienne. Il invite ainsi à :

  • Se donner un cap commun et une espérance
  • Croire en la valeur unique de l’amour qui promeut les personnes et le bien moral
  • Penser le lien entre local et universel
  • Avoir un projet politique visant le bien commun et au service d’une charité sociale
  • Chercher la fécondité plus que le succès
  • Articuler dialogue social et amitié sociale
  • Construire des parcours de paix qui font place à la mémoire et au pardon
  • Mettre les religions au service de la fraternité dans le monde

Des incitations à la réflexion et à l’action qui nous aideront à construire dans nos communautés éducatives l’alliance éducative à laquelle nous sommes appelés.

Nathalie TRETIAKOW, Secrétaire générale adjointe de l’Enseignement Catholique

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