Les Semaines sociales de France – ce fut l’objet de leur création, il y a plus d’un siècle – enracinent leurs réflexions et leurs engagements dans le terreau de l’enseignement social de l’Église, pour mieux le diffuser et analyser sa pertinence au fur et à mesure qu’évolue la société et le paysage socio-économique de notre monde. Cette pensée sociale, aujourd’hui, s’est enrichie des apports des deux encycliques, Laudato Si’ et Fratelli Tutti, du pape François. De cette lecture, il nous revient de penser et d’agir pour à la fois prendre soin de la Création et prendre soin des hommes et des femmes qui l’habitent.
Les derniers thèmes travaillés par les Semaines sociales de France visent à redonner un sens et une espérance à notre société, émiettée, divisée en îlots qui ne communiquent pas entre eux, où des crises sociales à répétition et la pandémie ont mis en lumière des fractures profondes, des fragilités et de graves injustices.
Pour bâtir une société qui répare ces injustices et n’abandonne pas les plus fragiles sur le bord du chemin, à ce moment de notre histoire où l’avenir semble tellement incertain que beaucoup seraient tentés de se replier sur eux-mêmes, nous avons voulu, avec l’appui de mouvements partenaires engagés dans la transformation sociale, élaborer un Manifeste de l’engagement et le diffuser. Partiel et pointilliste, sans doute, ce travail collaboratif a mis en lumière les lieux d’engagement prioritaires que sont, par exemple, le monde du travail ou la transition écologique, l’éducation ou l’enjeu numérique…
Un premier constat s’est imposé à nous qui voulions travailler sur trois niveaux d’engagements : un niveau institutionnel, en direction des responsables politiques et économiques ; un engagement collectif au sein d’associations ou de syndicats ; un engagement personnel. Ces niveaux, en fait, sont apparus indissociables: en chacun de nous, aussi, « tout est lié ». Il ne peut y avoir volonté de changer le monde sans se changer soi-même, sans une conversion de son regard.
Ce lien qui vise à ne pas dissocier l’être et le faire, à respecter la dignité de l’homme, de tout l’homme et de tous les hommes, nous semble présent dans chacune des propositions que nous avons travaillées en ateliers au cours de notre rencontre, suivie par 2 500 participants, en novembre 2020. Beaucoup de thèmes étaient en résonance avec le thème « produire et créer » autrement, car un modèle économique uniquement basé sur la croissance et le tout profit remet en cause les exigences du « cri de la terre » et du « cri des pauvres ».
En guise d’exemples, différentes propositions – autour de la limitation de la publicité dans l’espace public, la fiscalisation des émissions de gaz à effet de serre pour tous les produits et services ou la nécessité de connaître l’impact carbone des produits – parfois différentes des propositions examinées au Parlement, nous semblent cohérentes avec notre vision de l’écologie intégrale.
1) via l’éthique de responsabilité: l’être humain n’est pas considéré d’abord comme un consommateur soumis à un système marchand qui l’abreuve de biens, mais comme un être responsable qui peut choisir d’orienter sa consommation vers ce qui est bon et juste pour lui et pour les autres, d’où le besoin de l’éclairer, de lui donner des éléments suffisants de jugement. C’est aussi une éthique de coresponsabilité: l’entreprise n’est pas seule à être responsable des conséquences de sa production, c’est une coresponsabilité entre l’entreprise productrice et le client consommateur.
2) via une « écologie de l’attention » qui s’inquiète non seulement des ressources de la planète, mais aussi de celles des humains, au premier rang desquelles leur capacité d’attention. Une personne digne est une personne qui a conservé son autonomie de jugement et qui n’est pas soumise sans cesse à un bombardement de messages saturant son attention (on pense aux messages publicitaires, mais aussi à tous ces biens numériques « actifs » qui requièrent sans cesse notre attention via des notifications, des bips, des besoins de maintenance, etc.). Sont écologiques une production et une distribution de biens et de services qui laissent de la place à la contemplation, à la réflexion, des biens et services qui concourent à l’épanouissement de l’homme, et pas à son asservissement.
3) via l’obligation d’une attention aux plus fragiles: ainsi, pour nous, la « taxe carbone » qui va renchérir le prix de certains produits n’est légitime que si, pour les produits de première ou seconde nécessité, ou les produits dont les plus fragiles ne sauraient se passer à court terme, son produit permet d’alimenter des mécanismes d’accompagnement des plus fragiles via la redistribution d’une partie significative de cet impôt, au moins temporairement, et en tout cas suffisamment longtemps pour leur laisser le temps de s’adapter en douceur aux changements. La « taxe carbone » ne peut servir seulement à remplir les caisses pour financer des investissements, elle doit au moins pour partie être dépensée dans l’accompagnement du changement pour ceux qui sont les plus impactés et qui ont le moins de moyens pour y faire face.
Pour nous, n’est intégrale qu’une écologie qui prend en compte la dignité de chaque personne et l’exigence de justice sociale.
Dominique Quinio et Eric Wendling (Semaines sociales de France)