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Mag #10
10 – Dixième numéro
Constater

Écouter la clameur des pauvres et la clameur de la Terre

Publié le 22 octobre 2021

Intervention de Dominique Fontaine, prêtre de la Mission de France à session des délégués diocésains à la Solidarité et la Diaconie du 2 décembre 2019.

La conférence des évêques a entamé une réflexion en novembre sur la mise en œuvre de Laudato Si’. La question que les évêques s’étaient posée, vient de nous dire Mgr Pascal Delannoy, est la suivante : « Qu’est-ce que nos successeurs retiendront de ce début de 21ème siècle ? » Et ils ont choisi ce thème de l’écologie intégrale. Je pense en effet que ce qui fera date, c’est bien l’encyclique du pape François.

Lors de la publication de Laudato Si’ en juin 2015, des hommes publics comme Edgar Morin et Nicolas Hulot ont salué particulièrement le lien que fait le pape entre la question environnementale et la question sociale. Ils ont dit que ce texte était même un vrai projet de civilisation pour le 21ème siècle. Oui, notre Eglise a là un vrai projet de civilisation à proposer à toute l’humanité de notre siècle, en particulier à la jeunesse.

Quand on lit l’encyclique, on sent bien que l’apport particulier de la foi chrétienne est dans ce lien, qui traverse tout le texte, entre la justice climatique et la justice sociale : « Une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » (LS n°49).

On peut résumer l’encyclique en quatre phrases : Tout est lié, tout est fragile, tout est donné, tout est encore possible.

  • Tout est lié : C’est ce qui ressort à toutes les pages du texte. Autour du lien entre la clameur de la terre et la clameur des pauvres, le pape montre l’interdépendance de l’humanité avec toute la réalité créée.
  • Tout est fragile : Ce regard sur la fragilité traverse aussi l’encyclique. Le Pape le résume par ces mots : « l’intime relation entre les pauvres et la fragilité de la planète » (n° 16).
  • Tout est donné : En reprenant le cantique des créatures de St François, le pape nous invite à nous émerveiller devant le cadeau qui nous est fait de vivre sur notre planète. Si nous sommes capables de nous émerveiller devant un tel cadeau, nous ne pouvons plus le dégrader, ni l’exploiter. Nous ne pouvons plus nous en sentir propriétaires, mais intendants ou jardiniers. « Les textes bibliques nous invitent à cultiver et garder le jardin du monde. » Nous découvrons que ce cadeau est pour toute l’humanité et toutes les générations. Nous avons une seule maison commune. Nous sommes une seule famille humaine, où donc les plus pauvres doivent avoir toute leur place.
  • Tout est encore possible (n°205) : Contrairement à d’autres, le pape n’est pas un prophète de malheur. Il exprime la conviction que « l’humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune » (n°13). Cette conviction traverse toute l’encyclique, elle est le ressort spirituel qui peut mobiliser pour l’avenir de la planète les chrétiens, en même temps que les croyants des autres religions et tous les hommes de bonne volonté. Agir ensemble, dénoncer les injustices, nous mobiliser, changer nos comportements, mais aussi prier ensemble. Le pape termine son encyclique par une prière pour la terre, que nous pouvons adresser au Créateur avec les autres religions.

Avec cette encyclique, nous ne pouvons plus dire : « Après nous le déluge. », comme Jésus le dit dans l’évangile de dimanche dernier : « Aux jours de Noé, avant le déluge, on mangeait et on buvait. Les gens ne se sont douté de rien, jusqu’à ce que survienne le déluge, qui les a tous engloutis. » Nous savons, nous aujourd’hui, que notre avenir est inexorablement lié à celui de tous les autres humains, en particulier des plus pauvres. C’est une bonne nouvelle pour l’humanité.

Cette encyclique est un projet enthousiasmant, à la mesure de notre monde globalisé où tout est en interrelations. « Il n’y a pas de frontières ni de barrières politiques ou sociales qui nous permettent de nous isoler, et il n’y a pas non plus de place pour la globalisation de l’indifférence. »

Dans l’écologie intégrale que propose le pape, nous sommes appelés à mettre les plus pauvres au centre, ceux qui sont les moins responsables des conséquences climatiques et qui en sont les premières victimes. Il nous appelle à redonner à chacun ses droits et une voix dans les processus politiques et les décisions humaines. Il est important, comme le fait le pape, de dévoiler les structures de pouvoir qui excluent les plus vulnérables et qui gouvernent aujourd’hui l’économie et l’accès aux ressources (LS n°26). Il faut garder à l’esprit l’idée clef de destination universelle de biens, et repenser totalement nos modèles économiques (LS n°94) mais aussi nos modèles politiques et démocratiques pour une meilleure participation de tous, en particulier de ceux qui ont l’expérience de la précarité.

Il faut souligner le concept utilisé par le pape de « dette écologique » qui existe entre le Nord et le Sud, notamment autour de la question de l’extraction des minéraux et du commerce des matières premières, par lequel des entreprises multinationales méprisent trop souvent les droits des communautés locales. Le synode sur l’Amazonie a bien fait ressortir cela (cf. ch1 Les douleurs de l’Amazonie : le cri de la terre et le cri des pauvres.) Quand on lit les propositions (adoptées pour la plupart avec une majorité des ¾), on s’aperçoit que ce Synode est un déploiement impressionnant des intuitions de Laudato Si’.

Notre Eglise se mobilise sur l’écologie intégrale, comme vient de nous en parler Mgr Pascal Delannoy. Mais est ce que nous allons jusqu’au bout de ce que nous propose Laudato’Si ? Dans ma paroisse, nous avons décidé de nous lancer dans le label Eglise verte. Mais, à ma grande surprise, j’ai découvert que dans l’éco-diagnostic qui nous est proposé, rien ne concerne ce dont nous parlons aujourd’hui, ce lien entre le cri des pauvres et celui de la terre ! On a vraiment l’impression que les critères demandés et les actions proposées ne concernent que l’écologie et pas en même temps la prise en compte des pauvres dans cette démarche d’écologie intégrale. C’est peut être à vous, délégués à la Solidarité et la Diaconie, ainsi qu’aux équipes du Secours Catholique et du CCFD, de veiller à intégrer cette dimension dans le label Eglise verte.

En continuant à lire ce que notre Eglise fait et écrit sur l’écologie intégrale, ce lien entre les pauvres et la sauvegarde de la planète est présent dans certains articles de fond, et même dans des textes de prière proposés, mais très peu dans des initiatives réalisées ou proposées localement par les paroisses. Cette dimension est présente dans les projets internationaux que l’Eglise soutient, à travers le CCFD Terre Solidaire ou le Secours Catholique et les Caritas, mais trop peu dans la vie des paroisses. Nous n’en sommes donc qu’au début. Mgr Pascal Delannoy terminait son intervention tout à l’heure en demandant comment votre responsabilité de la Diaconie peut interroger nos paroisses et notre Eglise. Eh bien, je crois comme lui que vous avez du travail pour que l’enjeu de fond de Laudato Si’ soit vécu dans notre Eglise.

Dans un deuxième temps, je vous propose d’approfondir un peu ce lien entre les pauvres et l’écologie, et d’abord en soulevant des idées fausses à combattre. Je vous en propose trois :

  • 1) La première est : « Les pauvres polluent, parce qu’ils ont des vieilles voitures et des modes de chauffage polluants » Mais est-ce vrai ? Des études montrent 1  que dans nos pays développés, les personnes les plus précaires polluent deux ou trois fois moins que les plus riches. En effet, par exemple ils utilisent beaucoup moins les transports et par exemple les avions et les voitures.

On peut ajouter qu’ils vivent souvent dans des lieux exposés à la pollution et qu’ils ont moins de moyens de s’en défendre.

  • 2) On dit aussi que les familles en précarité n’ont pas les moyens d’être écolos, car le bio est trop cher pour eux. Mais être écolo, est ce uniquement manger bio ? Beaucoup de familles se serrent la ceinture et consomment beaucoup moins que les autres ménages. La quantité de biens que nous consommons est aussi un critère. Je connais certaines personnes précaires qui achètent parfois des légumes bios, qu’ils n’épluchent pas, pour rien perdre. Ils en mangent moins et calculent qu’ils font ainsi des économies. Parmi les familles les plus pauvres, beaucoup ont des comportements plus vertueux que nous, elles gaspillent moins la nourriture. Le phénomène du glanage à la fin des marchés le montre bien aussi. Les familles pauvres gardent souvent la mémoire des pratiques de non gaspillage de nos arrières grands parents, même si elles ne sont pas toujours en situation de les mettre en pratique. Au Secours Catholique, nous avons développé des jardins partagés, qui ont beaucoup de succès et dont les jardiniers sont fiers de pouvoir cultiver bio.
  • 3) J’ai entendu à la radio des journalistes dire que les marches pour le climat ne se sont développées que dans les pays riches et que la population des pays pauvres a bien d’autres soucis que l’écologie. Mais est-ce qu’en disant ça on n’oublie pas que les familles des pays pauvres ont inventé de façon ancestrale des tas de façons d’être écolo ? La vidéo sur l’orchestre des jeunes du Paraguay le montre bien et les partenaires soutenus par le CCFD et le Secours Catholique peuvent nous le prouver.

Dans ce lien entre la mobilisation des pauvres et la sauvegarde de la Planète, les peuples du Tiers monde sont bien en avance sur nous, en particulier en Amérique latine où l’Eglise catholique s’est mobilisée sur la question (même si on n’employait pas les mêmes termes qu’aujourd’hui) dès la fin du Concile. Ce n’est pas étonnant que ce soit un pape latino-américain qui a écrit Laudato Si’.

Dans un dernier temps, je voudrais citer quelques initiatives significatives :

  • L’association Eco-Habitat, qui vient d’obtenir un label gouvernemental avec un contrat avec l’agence nationale de l’Habitat. On aide des familles sans ressources à isoler leur maison (passoires énergétiques), avec des matériaux écologiques. Pour cela, elle met en lien grâce aux bénévoles du Secours Catholique des familles qui vivent dans des maisons passoires à monter leur dossier pour obtenir les aides publiques qui leur sont destinées et suit les travaux de rénovation. C’est une façon de vivre la transition écologique. Une maison où on vit bien entraine une spirale positive pour tous. Les professionnels du bâtiment sont contents car ils ont des marchés, la préfecture aussi car les aides vont aux bénéficiaires prévus, les bénévoles retrouvent du sens à leur action, au lieu de verser chaque mois une aide au chauffage. La vie des familles change, les enfants n’ont plus froid et sont moins malades, des pères et des jeunes retrouvent du travail après la rénovation de leur maison, à laquelle ils ont participé. Les familles qui n’osaient plus inviter des voisins chez eux redécouvrent une vie sociale, etc. L’initiateur d’Eco-Habitat, Franck Billeau, qui était délégué du Secours Catholique dans les Hauts de France, n’a pas l’impression d’avoir créé quelque chose d’innovant, mais « en fait c’est d’avoir pu créer des liens entre des acteurs qui ne travaillaient pas ensemble. Pour ces familles qui vivent dans ces maisons venant des grands parents, c’est une chance d’y rester, plutôt que d’être logées ailleurs. L’amélioration de l’habitat des plus pauvres est un formidable outil pour construire la maison commune. »
  • La Campagne de Caritas internationalis entre 2015 et 2017 sur le droit à l’alimentation a été de soutenir des projets internationaux, mais aussi de prendre des initiatives en France. On a découvert en écoutant des personnes et des familles en précarité qu’elles ont des choses à dire là-dessus : Elles vivent une forme de sobriété (pas toujours heureuse …) puisqu’elles se serrent la ceinture et économisent au maximum. Elles ont l’habitude de trier les déchets et de ne pas gaspiller, de ne pas mettre à la poubelle des plats à moitié entamés. Mais elles ne comprennent pas quand on leur dit de ne plus manger de viande, elles veulent donner bien à manger à leurs enfants et donc de temps en temps de la viande, et c’est sûr que ce n’est pas de la première qualité. Elles veulent défendre leur droit à consommer comme tout le monde. Et parfois elles ont du mal à entendre les paroles des écolos qui semblent leur donner des leçons.
  • La communauté de pays Terre de Lorraine a obtenu au dernier salon de l’agriculture un prix pour leur programme intitulé « De la dignité dans les assiettes ». Des relations nouées entre des producteurs bio et des familles en précarité, qui ont bénéficié à 150 familles.
  • Le 9 novembre au Sénat, des jeunes d’ATD Quart Monde ont rencontré des jeunes de Youth for Climat, qui ont reconnu que c’était nouveau pour eux de discuter avec des jeunes de milieux pauvres.

En conclusion :

L’expérience m’a montré que ce sont souvent les personnes en précarité qui en apprennent aux autres. La question est alors : Comment nous mettons-nous en disposition pour apprendre de ces personnes ? Je suis certain que dans nos diocèses des choses se vivent déjà ; il faudrait surement les capitaliser pour les proposer et les étendre. Pour cela, souvenons-nous de la joie que nous avons vécue à Diaconia 2013. Cette conversion de l’Eglise à partir des plus pauvres est à intégrer maintenant dans l’action commune pour l’écologie intégrale.

Et pour terminer je vous renvoie, je nous renvoie la question finale de Mgr Delannoy : « Est-ce que les plus pauvres peuvent nous entrainer dans cette conversion écologique, sur ce terrain de l’écologie intégrale ? »


[1] En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, ATD Editions de l’Atelier, 2015 p.116

Cet article est publié sur le site Internet Servons la Fraternité, vous pouvez retrouver la version originale ici

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