Mag #1 1 – Premier numéro Constater
La réception de l’encyclique Laudato Si en France
Mgr Jean-Pierre Vuillemin, évêque auxiliaire de Metz, est membre du Conseil Famille et société de la Conférence des évêques de France. Il accompagne plus particulièrement le pôle écologie et société depuis 2019.
La publication de l’encyclique Laudato Si’ fut saluée en France par un grand nombre de représentants de la société civile. Je me souviens encore du discours de Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement, qui s’adressait à un parterre d’hommes et de femmes politiques lorrains à l’occasion de l’inauguration de la Maison des paysages sur la fameuse Colline inspirée de Sion. Elle les encourageait vivement à lire l’encyclique qui venait de sortir. Inspiré, le Pape François le fut, répondant ainsi aux attentes d’un grand nombre. Nous étions dans le contexte d’un bouillonnement d’idées dans les sphères les plus diverses à l’occasion de la COP 21 organisée cette année-là en France.
La publication de Laudato Si’ eut lieu au moment opportun, à cet instant T d’une prise de conscience planétaire toujours plus massive. Certains parlèrent d’un « Kairos » qui inspira d’ailleurs la publication d’une édition spéciale des Cahiers Kairos ; beaucoup de diocèses ont diffusé cette publication en y insérant des articles rédigés par des acteurs locaux. Les chrétiens, militants écoresponsables de la première heure, voyaient enfin leurs réflexions et leurs actions prises au sérieux par le magistère. Ce dernier n’a certes pas attendu Laudato Si’ pour dire le bien-fondé du respect de la création. Mais jusqu’ici, aucun texte de cette densité n’exprimait avec autant de clarté l’urgence d’un accueil éclairé des appels lancés de toute part pour une conversion écologique intégrale.
D’aucuns estimeront que cette parole officielle de l’Église catholique fut tardive.
C’était par exemple l’opinion de Pierre Rabbi à l’époque. Bien des chrétiens engagés dans la réflexion et l’action depuis plusieurs décennies attendaient eux aussi avec impatience l’éveil des consciences au sein du Peuple de Dieu. Certains se souvenaient du rassemblement œcuménique mondial organisé par Pax Christi en Corée du Sud en 90 ayant pour thème : la justice, la paix et la sauvegarde de la création. Ils en espéraient une prise de conscience beaucoup plus prononcée dans les communautés. Ils regrettaient par exemple le manque d’investissement des communautés catholiques dans ce qui s’appelait à l’époque le « Temps pour la création » avant de devenir la « saison de la Création » qui tous les ans mobilise désormais les trois églises chrétiennes de septembre à octobre. Tous sont invités à célébrer la saison de la Création en priant et en agissant pour la protection de la maison commune. Le 1er septembre est la journée mondiale de prière pour la Création. Laudato Si’ aura finalement donné un nouvel élan à cette initiative œcuménique.
Peu à peu, nous avons vu se rapprocher des chrétiens dits « de gauche », plus attentifs aux questions d’éthique sociale et des chrétiens dits « de droite », plus attentifs aux questions de bioéthique. C’est que l’horizon éthique de Laudato Si est large … La question du respect de la vie y est centrale. Individus, groupes, états, institutions et religions peuvent en comprendre la pertinence. Tous peuvent, avec le Pape, s’interroger : « N’est-ce pas finalement le cœur de l’homme qui est malade et qu’il faut soigner ? ». En dégageant l’écologie de ses impasses idéologiques, communautaristes ou politiques, François l’a rendue désirable par un grand nombre de chrétiens jusqu’ici peu concernés.
Ce texte a très rapidement suscité au sein des diocèses de France un besoin de libérer la parole de celles et ceux qui avaient une bonne longueur d’avance sur ce long et difficile chemin de conversion. Beaucoup de médias chrétiens ont su rendre ce texte accessible au plus grand nombre d’autant plus qu’il se lit facilement. Ils ont aussi relayé ce foisonnement d’initiatives qui laissait présager un basculement décisif, car il n’y a pas de Kairos sans basculement.
De nombreuses initiatives sont nées ici ou là.
Arrêtons-nous sur les Assises chrétiennes de l’écologie qui se sont tenues à Saint-Étienne du 28 au 30 août 2015 quelques mois après la publication de Laudato Si’. Après une première édition en 2011, passée presque inaperçue, celle-ci a pris un relief particulier. Désormais, c’est un festival chrétien de l’écologie qui s’organise chaque année. L’écologie chrétienne, jusqu’ici réservée à un cercle d’initiés s’est soudain sentie légitimée au plus haut niveau de l’Eglise. Si certains universitaires chrétiens s’intéressaient à l’écologie chrétienne, la richesse des études menées ne profitait guère au plus grand nombre. C’est justement dans le foisonnement d’idées et d’expériences partagées au cours de ce festival qu’est né, en France, le projet œcuménique du label Eglise verte en 2017. Ce label, initialement expérimenté en Angleterre, permet d’entrer de manière concrète dans un processus de conversion écologique. Deux ans plus tard, nous comptons 450 instances « églises vertes labélisées ».
Du côté catholique, Mgr Bruno Feillet et Elena Lasida du Conseil Famille et société se sont fortement investis dans la mise en place de cette démarche portée conjointement par la Conférence des évêques de France, la Fédération protestante de France et l’Assemblée des Evêques Orthodoxes de France. Nous étudions actuellement une déclinaison spécifique de ce label pour les familles, les institutions scolaires, les monastères, les congrégations apostoliques, les mouvements et les aumôneries de jeunes et les entreprises. Le Pôle écologie et société de la Conférence des évêques de France peut également compter sur des « référents diocésains à l’écologie intégrale » dans une soixantaine de diocèses.. Cela fait plus de la moitié des diocèses pourvus. Chacun reçoit sa mission de l’évêque afin d’accompagner la réception de Laudato Si’ et de stimuler la conversion écologique en accompagnant et reliant les initiatives les plus diverses.
Que retenir de cette évocation de quelques aspects de la réception de Laudato Si’ en France ? Une espérance. Celle qui est soutenue par la foi en l’Homme intégral, le Christ sauveur de l’humanité qui trace toujours devant nous un chemin de vie nouvelle.
Les défis restent nombreux pour que les actes des catholiques français puissent donner raison aux paroles du Magistère. Car le Pape François s’inscrit bien dans la continuité du magistère qui durant ces dernières décennies s’est beaucoup intéressé aux défis de l’écologie intégrale, à ses crises et à ses chances. Il est fort à parier que l’appel du Souverain Pontife, s’il est entendu, transformera nos comportements au cœur même des institutions que nous servons. C’est par exemple le cas lorsque les évêques de France acceptent d’ouvrir leur assemblée plénière à de nombreux fidèles prêtres, diacres et laïcs. Ensemble, nous apprenons à faire fructifier plus intensément les dons reçus dans la découverte, l’accueil, la promotion et le profond respect des « écosystèmes ecclésiaux » qui nous sont confiés.