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Mag #9
9 – Neuvième numéro
Constater

L’Église a une mission par rapport aux autres institutions humaines

Publié le 16 septembre 2021

Le pôle de recherche du Collège des Bernardins a lancé fin juin une chaire dédiée à « l‘écologie intégrale, pour une nouvelle exploration de la terre ». Pilotée par le Père Olric de Gélis, théologien et directeur du pôle de recherche du Collège des Bernardins ; Grégory Quénet, historien de l’environnement et le Père Frédéric Louzeau, théologien accompagnateur », cette chaire s’intéressera pendant deux ans (2021-2023) aux mutations écologiques et sociales, en croisant les approches scientifiques, spirituelles et artistiques.

INTERVIEW

Pourquoi vous êtes-vous emparés de la question de « l’écologie intégrale » ?

Le Collège des Bernardins est une institution diocésaine sous la gouvernance de l’Archevêque de Paris. Nous nous sommes aperçus que l’encyclique du pape François Laudato Si’ (NDLR 2015) avait une incroyable réception dans les milieux non chrétiens et qu’il fallait entreprendre des actions de recherche scientifique. La question de l’écologie telle qu’est proposée est une question sociale d’une importance cruciale pour notre époque. C’est pour cette raison que nous nous sommes saisis de la question écologique.

Vous avez d’abord effectué un travail de recherche avec les théologiens du Collège des Bernardins et en particulier par le Père Frédéric Louzeau, directeur du pôle de recherche. Quel était votre objectif ?

Le Père Louzeau a lancé avec le philosophe Bruno Latour, le philosophe, un séminaire d’approche de trois ans (2016-2019) autour de l’insensibilité écologique. Malgré les différents rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ou les publications scientifiques, la question du réchauffement climatique n‘émouvait pas le grand public. Le climatoscepticisme était plus répandu qu’aujourd’hui. Ce séminaire de recherche a voulu comprendre quels étaient les obstacles culturels, philosophiques ou spirituels et quelles étaient les racines de l’insensibilité à l’écologie ? Le mot « insensibilité » a sa transposition dans l’espace biblique dans le sens où cela rejoint des thématiques comme la dureté du cœur. C’est vers cette notion que le séminaire pointait ainsi que l’encyclique. Surtout quand le Pape parle du « paradigme technocratique dominant ». Il veut en mettre en lumière un comportement de repli sur soi et d’égoïsme qui peut très bien s’apparenter à ce que l’écriture biblique appelle : « le cœur dur ».

À l’issue de ce séminaire, il est apparu au Père Frédéric Louzeau et à l’équipe de l’Archevêque, Mgr Michel Aupetit que ce thème de « l’écologie intégrale » était crucial et qu’il fallait le déployer dans une plus grande largeur. Comment avez-vous procédé ?

Derrière les questions sociétales, nous sommes convaincus qu’il se cache des questions civilisationnelles. Comment pouvons-nous contribuer à accompagner les changements de civilisation et bâtir un renouveau monde ? Comment aider la réflexion globale ? Nous essayons de comprendre la question climatique, de voir ce qu’elle implique de nos comportements, de notre projet de société, de nos modes de pensées et d’agir. Ce que nous appelons « l’être au monde ». Qu’est-ce le réchauffement climatique implique de revoir dans notre « être au monde » ? Le projet de la chaire de recherche se situe à ce niveau de profondeur, à la croisée entre l’anthropologique, la philosophie, les sciences humaines et positives (sciences du « système Terre » et du climat, etc.)

Au niveau ecclésial, de nombreuses initiatives françaises et étrangères se sont agrégées les unes aux autres grâce au Dicastère pour le service du développement humain intégral. Pour le lancement de la chaire Laudato Si’, nous sommes entrés en relation avec quelques-uns de ces projets internationaux, portés par des théologiens, des praticiens, des paroisses, des universités. Or, la majorité de ces projets en matière d’écologie sont des projets très concrets comme la construction de digues ou la désalinisation de l’eau mais on ne comptabilise pas beaucoup d’endroits dans l’Eglise où on réfléchit de manière fondamentale à la question écologique. Or, nous estimons que nous avons notre place dans ce réseau.

Vous avez justement choisi pour conduire ces travaux de la chaire M. Grégory Quenet, professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en Yvelines (Paris-Saclay) et titulaire de la chaire. Un champ de recherche très récent qui a émergé à partir des années 1990…

Grégory Quenet est l’introducteur en France de l’histoire environnementale. Cette discipline récente de l’histoire étudie les interactions entre l’homme et son environnement. C’est une nouvelle manière de faire de l’histoire. Par exemple, les crises environnementales (typhons ou inondations) ont des implications très profondes dans l’histoire des Hommes. Nous lui avons parlé du projet de la chaire en évoquant le choix d’une équipe pluridisciplinaire composée d’universitaires, de théologiens et d’artistes. Il a répondu tout de suite favorablement au projet !

Comment vont se dérouler concrètement le projet de la chaire Laudato Si’?

D’une part, nous développons la recherche scientifique autour de trois axes : le rapport du temps de la nature à notre propre temps, la question des lieux et celle des communs. D’autre part, nous ne pouvons pas entreprendre de recherche fondamentale sans l’expérience du terrain dans les régions. Nous avons passé une semaine en juillet avec quinze chercheurs de la chaire (doctorants, théologiens, historiens, scientifiques, artistes, etc.) dans la région rennaise pour visiter des lieux sensibles menacés de mutations. Nous étions accompagnés par l’Observatoire des sciences de l’univers (Rennes 1 et Rennes 2).  Dans ce même volet pratique, nous aurons aussi toute une série d’ateliers d’autodescription. L’objectif est d’aider des paroissiens urbains ou ruraux à prendre conscience des liens qui les unissent au territoire sur lequel ils habitent.

Quels débouchés envisagez-vous au bout de ces trois ans de recherche scientifique ?

Nous organiserons des colloques, des publications, voire des cours dédiés en théologie (pourquoi pas sous forme de moocs) pour recueillir et transmettre les fruits de notre réflexion. Nous souhaitons surtout permettre à des universitaires qui ne connaissent pas les milieux d’église de pouvoir s‘initier aux réflexions de théologiens, aux appels de l’Ecriture Sainte, et à la richesse du patrimoine dogmatique. Ce sont – pour eux – des apports nouveaux, comme l’est pour nous le contenu qu’ils nous apportent. Par ce réseau d’amitié, nous rappelons que l’Eglise est un partenaire sérieux qui s’intéresse aux changements de civilisation.

Le sous-titre de la chaire intitulée : « Pour une nouvelle exploration de la terre » appelle à de nouvelles représentations…

En raison du changement climatique, la terre a déjà changé. Des espèces animales qui ont disparu, des problématiques nouvelles apparaissent (par exemple : canicules extrêmes, méga-feux,…). La terre n’est plus familière. Nous découvrons les réactions de la Terre au réchauffement climatique. Cette terre nouvelle se présente comme une « terra incognita » qui appelle des explorateurs. L’idée de la chaire est de comprendre cette nouvelle terre. C’est une nouvelle manière d’y habiter d’où les enjeux civilisationnels. Le monde change et nous ne pouvons pas rester dans notre tour d’ivoire sans rien faire. L’Eglise a une mission par rapport aux autres institutions humaines, elle doit permettre à tous ceux qui le veulent bien de pouvoir réfléchir à cette thématique.

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