Tiré du livre Nouveaux modes de vie ? L’appel de Laudato Si’, publié en 2017 par le Conseil Famille et Société de la Conférence des évêques de France.
Pour que surgissent de nouveaux modèles de progrès, nous devons convertir le « modèle de développement global » ce qui implique de réfléchir de manière responsable « sur le sens de l’économie et de ses objectifs afin de corriger les dysfonctionnements et les déséquilibres ». Il ne suffit pas de concilier dans un juste milieu la protection de la nature et le profit financier, ou la préservation de l’environnement et le progrès. Sur ces questions les justes milieux retardent seulement l’effondrement. Il s’agit simplement de redéfinir le progrès.
Laudato Si’, 194.
Les modes de vie concernent la consommation mais également la production: l’une ne va pas sans l’autre. L’acteur central de la production est l’entreprise : qu’elle soit multinationale ou petite
entreprise locale, elle est directement concernée par la crise écologique et par le défi de redéfinir le progrès.
L’ENTREPRISE
Constat
Depuis les années 1980, la financiarisation a transformé le contexte où évoluent les entreprises. Dans le même temps, la théorie économique dite de la « valeur pour l’actionnaire » selon laquelle
l’entreprise ne peut avoir d’autres objectifs que la maximisation des gains des actionnaires, s’est imposée comme une norme pour le management. Cependant, au cours des deux dernières décennies, la succession des crises et la prise de conscience des limites de la planète ont suscité de nouvelles interrogations sur la nature et la vocation des entreprises. Ainsi la crise asiatique des années 1997-1998 a alerté sur les risques financiers des placements dans des projets excessivement spéculatifs. Puis l’éclatement de la bulle des télécoms en 2001-2002, ainsi que quelques faillites retentissantes dans le domaine de l’Énergie (ENRON) ou de l’alimentation (Parmalat en Italie) ont montré que les marchés peuvent se tromper gravement dans l’évaluation des entreprises. Cela n’a pas empêché la crise financière de 2008 et ses multiples répliques, et les problèmes systémiques sous-jacents n’ont pas été corrigés, ce qui laisse craindre de nouvelles secousses.
Parallèlement aux crises financières, plusieurs catastrophes écologiques (Seveso, Deepwater horizon), sociales et humanitaires sont venues souligner la relative irresponsabilité des actionnaires et des donneurs d’ordre au regard des conséquences potentielles de l’activité des entreprises. L’un des événements qui a marqué les esprits a été l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh en 2013,
bâtiment qui abritait plusieurs ateliers de confection travaillant pour diverses marques internationales de vêtement, dans lequel plus de 1 000 personnes ont perdu la vie. Cette catastrophe a mis en évidence le manque de responsabilité des multinationales à l’égard de leurs fournisseurs et conduit au besoin d’établir des normes pour les protéger.
MIEUX PRODUIRE
Ces crises diverses ont mis en évidence que l’entreprise n’est pas seulement un acteur économique mais qu’elle assume de fait un ensemble de responsabilités sociales. Ne serait-ce qu’à travers les
ressources financières, humaines ou naturelles qu’elle mobilise, l’entreprise a aujourd’hui un impact majeur sur la vie des populations, sur la distribution de la richesse et sur la pérennité de l’écosystème planétaire. Cette prise de conscience conduit à envisager l’entreprise, indépendamment de sa forme juridique, comme une communauté de personnes orientées vers un projet commun. Elle a ainsi une responsabilité d’acteur social autant à l’égard de ses membres que de la société d’une manière générale.
Nouveau possible
La prise en compte de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) s’est beaucoup développée ces dernières décennies. Les entreprises du CAC40 sont obligées, depuis 2001, de présenter un rapport sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, en plus de leurs bilans financiers. Des agences de notation se sont multipliées pour évaluer les entreprises à ce niveau. La norme ISO 26 000 propose un cadre général pour évaluer la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Des projets de partenariat entre les entreprises et le monde associatif se développent de plus en plus, faisant évoluer les pratiques classiques de mécénat vers de véritables pratiques de collaboration. Des modèles économiques nouveaux sont apparus, comme le « social business plan » associé à des fonds dont la rentabilité est évaluée au niveau social et environnemental. Par ailleurs, le développement du secteur de l’Économie sociale et Solidaire (ESS) répond également au souci d’une économie qui n’est pas évaluée uniquement en termes de rentabilité financière. Que ce soit à travers des formes juridiques fondées sur la lucrativité limitée, la gouvernance démocratique et le partage équitable des bénéfices (coopératives, mutuelles, associations, fondations), ou à travers des sociétés commerciales classiques avec une claire finalité d’utilité sociale (entrepreneuriat social), l’ESS présente une multiplicité de manières de concevoir et d’organiser l’activité économique de manière solidaire et respectueuse de l’environnement. La loi-cadre de l’ESS de 2014, première loi sur le secteur, lui a donné de la légitimité et a établi des conditions favorables pour l’aider à se développer. L’entreprise peut ainsi être levier du changement des modes de vie à plusieurs niveaux :
- en cherchant des solutions plus sobres en énergie et moins émettrices de gaz à effet de serre (GES). Ainsi en Europe, depuis la signature du Protocole de Kyoto, les industriels ont déjà abaissé de 38% leurs émissions de GES globales en 2013 par rapport à 1990. Les programmes de Recherche et Développement sur l’efficacité énergétique et la «décarbonation » des économies doivent se poursuivre activement, malgré la baisse récente des cours de pétrole,
- en proposant des produits mieux adaptés aux nouveaux modes de vie recherchés, économes en énergie notamment (éco-conception), et en développant des services propres à assurer de nouveaux besoins (vieillissement, familles monoparentales, etc.) ainsi que des besoins non couverts de façon optimale (comme les transports). Le passage d’une économie fondée sur l’appropriation d’objets à usage exclusif, à une économie d’usage ou de partage (économie de fonctionnalité ou économie collaborative) demande un engagement fort de la part des entreprises comme des individus,
- en développant l’économie circulaire afin de réutiliser les déchets générés dans une activité comme ressource pour en développer une autre, en minimisant ainsi le gaspillage et la dépense d’énergie,
- en veillant au bien-être et à l’épanouissement des salariés, des fournisseurs et des sous-traitants. Des collaborateurs mieux respectés et valorisés ainsi que mieux informés des objectifs poursuivis et développant leur créativité dans un environnement harmonieux seront à même de contribuer à l’invention de solutions durables. Les investisseurs auront également de plus en plus tendance à s’orienter vers le financement de telles entreprises,
- en privilégiant l’accès au travail sur le bénéfice financier, afin de contribuer à créer les conditions pour que chaque homme et chaque femme puissent déployer leur dignité de créateur,
- en redistribuant les bénéfices de manière équitable à l’intérieur de l’entreprise à travers une politique de salaire juste et sans écart excessif entre celui qui se trouve au niveau le plus élevé et celui qui est en bas de l’échelle,
- en refusant de trop avantager les actionnaires dans le partage de la valeur ajoutée de l’entreprise.
- En partageant les bénéfices avec des projets d’utilité sociale,
- en respectant les obligations fiscales sans chercher des stratégies pour payer moins d’impôts, afin de contribuer ainsi aux systèmes de solidarité, que les États assurent auprès des personnes plus vulnérables.
Questions
* En tant qu’entrepreneur, est-ce que je cherche à réduire l’empreinte écologique de mon entreprise ?
* En tant qu’entrepreneur, est-ce que je suis attentif à la différence des rémunérations à l’intérieur de mon entreprise ?
* En tant qu’entrepreneur, est-ce que je suis attentif aux conditions de travail de mes sous-traitants ?
* En tant qu’entrepreneur, est-ce que j’ouvre des possibilités de travail à des personnes en chômage de longue durée, à des personnes en situation de handicap, à des jeunes sans expérience ?
* En tant qu’actionnaire, est-ce que je me préoccupe de l’impact des choix de l’entreprise sur l’environnement naturel et humain ? Est-ce que je privilégie l’investissement à long terme sur le court
terme ?
* En tant que travailleur, est-ce que je m’informe sur les impacts environnementaux, sociaux, voire sociétaux (externes) des entreprises avec lesquelles je travaille ? Et sur les produits ou services qu’elles livrent ?
* En tant que travailleur, est-ce que je participe aux efforts de recherche de solutions durables, économes en énergie et matières premières, au recyclage, aux économies directes que je peux faire de ma propre initiative ou proposer ?
* Quel que soit mon rôle dans l’entreprise, de quelle manière je participe ou je contribue à créer des espaces de responsabilité et d’action collective ?