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Mag #3
3 – Troisième numéro
Constater

Pour respecter la planète, il est important de respecter le cycle naturel

Publié le 16 octobre 2020

Monseigneur Jacques Habert, évêque de Séez et accompagnateur de la Mission en monde rurale, témoigne d’une attention particulière au monde agricole et rural. Il revient sur son expérience pastorale dans son diocèse effectué en 2019. Il évoque également la prochaine Assemblée plénière des évêques de France à Lourdes consacrée à l’agriculture, et « Terres d’espérance », la prochaine rencontre nationale rurale qui se tiendra à Châteauneuf-de-Galaure, en avril 2021.  Interview.

D’octobre 2018 à juin 2019, vos visites pastorales dans le diocèse de Séez étaient consacrées au monde rural et agricole. Quel regard portez-vous deux ans après ?

En 2011, suite à mon ordination, j’ai réalisé une première visite pastorale pour connaitre le territoire de l’Orne. Cette fois-ci, je souhaitais engager une démarche thématique dans les dix pôles missionnaires du diocèse (regroupement de paroisses), auprès des agriculteurs et de ses habitants. Il s’agissait de mesurer la complexité de ce territoire, et de voir les belles et stimulantes initiatives qui existent. J’ai aussi écouté les souffrances, les épreuves, et les grandes difficultés que traversent les habitants qui vivent en « hyper-ruralité ».

Vous étiez au plus près des réalités du monde rural. Comment avez-vous vécu personnellement ces rencontres ?

De ces rencontres du monde rural, j’ai approfondi certaines dimensions, et j’ai modestement le sentiment d’avoir apporté mon soutien, et une vision de l’Église proche des gens. Le mouvement des « gilets jaunes » a éclaté en novembre 2018, un mois après le lancement de mes visites pastorales. J’ai pu constater quelques évolutions. Dans les campagnes, la réalité de la fracture sociale s’est greffée sur un sentiment d’abandon social et une peur du déclassement. À l’issue de ces visites, j’ai adressé un courrier à tous les élus du Département pour leur faire part de ma démarche, car les solutions passent aussi par des réflexions et des décisions politiques sur le plan local, régional, national, et européen.

Comment l’Église peut-elle témoigner son soutien au monde agricole et rural ? Comment pouvons-nous apporter de l’Espérance chrétienne ?

Qu’ils soient croyants ou non, les agriculteurs étaient honorés que l’évêque vienne frapper à leur porte. Je leur apportais l’encyclique du pape François Laudato Si’. Entre eux, les solidarités s’expriment de diverses manières. J’ai vu des habitants debout, fiers et heureux de leur activité, et en même temps quelle complexité vivent-ils ! C’est en ayant une prise de conscience que les choses pourront évoluer. Les communautés chrétiennes doivent entreprendre ce même chemin de réflexion. Nous avons – à l’échelle du diocèse – organisé dix soirées thématiques pour évoquer à la lumière de la Doctrine sociale de l’Eglise (DSE), les questions environnementales et sociales, et la question de l’écologie intégrale. Les thèmes portaient à la fois sur la place des jeunes, les pauvretés et solidarités ou les enjeux de l’emploi sur les territoires ruraux…

La prochaine Assemblée plénière des évêques de France qui se tiendra en novembre 2020 à Lourdes s’intitule : « Cultiver la terre et se nourrir ». Que vous inspire ce thème ?

Les agriculteurs me rappelaient sans cesse leur rôle, celui de nourrir la planète et les hommes. Nous ne mesurons pas forcément cette évidence. Quand nous achetons des aliments, nous n’avons pas toujours conscience de tous les maillons de la chaîne alimentaire. Dans le Livre de la Genèse, quand Dieu confie la Création à l’Homme, il est question de nourriture. Donner à manger à la population est une dimension indispensable, et essentielle de la vie en société.

Viendrez-vous accompagnés lors de l’Assemblée plénière de novembre 2020 ?

Je serai avec un couple d’agriculteurs de Sées qui a été confronté à ces questions de l’alimentation et du rapport à la terre. Leur vie familiale est entièrement marquée par la vie agricole.  C’est plus qu’un métier, un style de vie ! L’an dernier, j’étais venu avec une religieuse franciscaine très attentive à Laudato Si’ et un agriculteur qui s’est reconverti dans l’agriculture biologique et qui est très sensible à la notion « d’écologie intégrale ».

Est-ce qu’il faut qu’on se défasse d’une agriculture productiviste ? Doit-on repenser nos priorités ? Faut-il changer notre rapport à l’alimentation ?

Dans les années 1960, l’agriculture française a connu une période de croissance non négligeable grâce à la mécanisation. Un système de production intensif s’est développé pour nourrir la population, au-delà-même de la France, entraînant des abus, des soucis de rentabilité, et de rendements sans même prendre soin de cette terre qui crie sa souffrance ! L’objectif est de nourrir la planète de manière durable. D’un côté, l’agriculteur doit trouver des méthodes moins agressives avec la nature, et prendre en compte les exigences du consommateur. De l’autre côté de la chaîne, le consommateur ne peut pas exiger de manger des fraises en hiver ! Chacun doit faire des efforts pour atteindre la « sobriété ».

À quoi peut ressembler une alimentation durable respectueuse de l’environnement ? Est-ce un défi collectif ?

Si nous revenons à une agriculture biologique, ce qui est fort souhaitable, le choix sera certes moins grand. Néanmoins, nous reviendrons à une productivité plus raisonnable. Ne tombons pas dans l’excès dénoncé par Saint-Paul dans sa lettre aux Philippiens: « Leur Dieu, c’est leur ventre ». La nature imprime un rythme. A chaque saison ses fruits et ses légumes. Pour respecter la planète, il est important de respecter le cycle naturel dans son assiette et d’adopter de bons réflexes.

Vous accompagnez en avril 2021 : « Terres d’espérance, rencontre nationale du rural », un évènement qui propose à tous les ruraux, l’Espérance de l’Évangile à la lumière de « Laudato Si’ » et de l’écologie intégrale. Quelle est son ambition ?     

Pour manifester notre intérêt au monde rural, une délégation d’une quarantaine d’évêques se mobilise pour organiser un rassemblement national qui permettra aux 800 invités de se rencontrer et de confronter leurs initiatives. Quatre-vingt diocèses se sont déjà engagés dans cette aventure, et plus de 350 initiatives sont déjà inscrites sur le site de la mission rurale. Nous avons sélectionné une centaine d’idées pour lancer les ateliers, les forums, ou des tables-rondes. Cet évènement a des enjeux pastoraux et spirituels : Comment réaliser des actions au nom de notre foi ? Comment l’Évangile nous invite-t-il à agir ainsi ? C’est la mission de l’Église de témoigner. Au terme de ce rassemblement, nous espérons qu’un tissu de relations humaines continuera de prospérer.

 

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