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Mag #7
7 – Septième numéro
Constater

Quelle éthique au cœur de la crise ? Parole de soignants

Publié le 28 mai 2021

Depuis un an, les soignants se donnent sans compter au cœur de cette crise sanitaire. Le désarroi, parfois teinté de colère, se mêle à la fatigue des heures passées à s’occuper des personnes malades dans les hôpitaux ou dans les EHPAD. Cette pandémie révèle de manière forte la fragilité de la vie humaine. Un an après, des soignants, travaillant en Vendée dans différentes structures, ont accepté de témoigner de leur expérience humaine et professionnelle. Ayant tous la foi et l’espérance chrétienne, ils partagent ce qui les interpelle d’un point de vue éthique, mais aussi de ce qui les anime au plus profond d’eux-mêmes : le respect de la dignité humaine.

 « Prendre soin de l’autre est plus que lui assurer une bonne santé »

 Au tout début du premier confinement, les mesures mises en place à l’hôpital se durcissaient au fur et à mesures des semaines pour ces femmes qui avaient débuté leur grossesse alors que ce virus était encore inconnu. Elles voyaient alors le paysage de leur accouchement s’assombrir par des mesures sanitaires qu’elles n’auraient pu envisager pour accueillir leur tout-petit. La présence du père était bien au cœur des préoccupations des futures mères.

Les femmes sont particulièrement sensibles durant leur grossesse. Cette pandémie nous rappelle à quel point elles ont besoin d’être entourées et soutenues, en particulier par la présence de leur conjoint, afin de pouvoir envisager la naissance de leur bébé dans un climat sécurisant, pas seulement d’un point de vue sanitaire mais aussi d’un point de vue affectif.

Aujourd’hui, les choses me semblent plus apaisées : les pères sont présents pendant le séjour en maternité, mais pas la fratrie du nouveau-né. C’est parfois difficile à gérer pour le couple.

Je pense à cette maman qui allaite encore l’aîné mais est séparée de lui le temps de son séjour en maternité.

Les demandes de sorties précoces sont désormais fréquentes surtout pour les mères qui ont d’autres enfants qui les attendent à la maison. La plupart des accouchées ont particulièrement apprécié d’être plus au calme avec leur bébé et leur conjoint : des mères plus reposées, des bébés plus calmes.

Après une année de pandémie, après la peur des débuts, après avoir eu pour objectif d’éviter les dangers de ce virus, en particulier pour les plus fragiles, il me semble temps de remettre au cœur du système de soin notre attention aux besoins fondamentaux des patients. Certains ont été mis entre parenthèses dans l’urgence, mais nous avons pu redécouvrir à quel point ils étaient pourtant essentiels à leur bien-être. Prendre soin de l’autre est plus que lui assurer une bonne santé. Prendre soin de l’autre, c’est aussi être attentif à ce qu’il vit, à ce qui le fait vivre et ceux qui le font vivre.

Maryline, sage-femme

« Que veut-on privilégier ? La protection à tout prix ou la relation humaine ? »

La maladie liée à ce virus est arrivée très brutalement. Elle a entraîné une peur importante, car nous ne la connaissions pas. Tout était nouveau ! Des mesures très strictes ont été prises dans les établissements hospitaliers, comme dans les EHPAD.

Lors d’un décès, au début de la crise il y a un an, de nombreux proches n’ont pu voir la dépouille de leur père ou de leur mère. La mise en bière était faite tout de suite, la famille ne pouvait pas se recueillir autour de la personne défunte. La sépulture était très difficile à organiser et le deuil encore plus douloureux ! Ces mesures prises étaient à la limite de l’inhumanité. Aujourd’hui, après un an de crise, les mesures ont un peu évolué, notamment pour les personnes en fin de vie où les visites sont autorisées mais en nombre réduit. Dans les hôpitaux, les situations varient, et tout dépend de la politique de l’établissement. Les visites sont laissées à l’appréciation des différents services, des équipes… La personne soignée est bien souvent isolée, sans contact avec sa famille. Pour les proches, ce manque de contact et d’information de la part du corps médical est très compliqué à vivre. Bien souvent, l’information sur l’état de santé de la personne hospitalisée est donnée au téléphone, de manière très succincte. La famille reste souvent en dehors, démunie… Dans ces situations, les équipes soignantes font preuve d’une grande bienveillance, d’une grande attention vis-à-vis des personnes hospitalisées, isolées, car elles sont les seules avec qui elles sont en relation. Aujourd’hui, je m’interroge : la peur peut-elle encore guider toutes nos décisions ? Nous sommes confrontés à des questions d’ordre éthique. Que veut-on privilégier ? La protection à tout prix ou la relation humaine ?

Françoise, infirmière

 « On a sacrifié le soin sur l’autel de l’argent ! »

 Un an après, je suis un peu abasourdi par tout ce que nous avons vécu. Ce qui me frappe le plus, c’est de voir à quel point l’humain a perdu sa place. Il a été remplacé par des considérations financières. On a sacrifié le soin sur l’autel de la finance et de l’argent ! Nous gérons maintenant les carences du système… Comment peut-on imaginer encore laisser des dizaines de patients sur des brancards, dans les couloirs des urgences, avec du personnel en nombre insuffisant ? Tout cela révèle un manque de respect de la personne et de la dignité humaines.

Nous ne sommes plus capables de « donner du soin » aux patients, au sens noble du terme. Un sentiment d’impuissance m’habite : notre seule puissance aujourd’hui est de continuer à soigner avec bienveillance et respect. Il s’agit aussi de remettre au cœur de notre système de soins la relation humaine. L’être humain a besoin de la relation à l’autre. Il a besoin d’être touché, rassuré.

Malgré tout, il faut souligner la belle solidarité entre le personnel soignant, dont beaucoup se donnent sans compter, parfois jusqu’à l’épuisement pour s’occuper des plus fragiles.

Notre société n’accepte plus le risque, ni la maladie, ni la mort. Pourtant, c’est bien cela la vie ! Je souhaite que nous revenions à l’essentiel, qui est de vivre tout simplement, de retrouver notre liberté, d’arrêter la peur. Comme chrétien, tout cela nous invite à être patients et humbles, car nous ne sommes pas tout-puissants !

Emmanuel, médecin urgentiste

 « A l’image de Jésus qui a visité tant de malades, soyons à l’écoute de la personne toute entière »

Après une année compliquée, nous avons repris une activité quasiment normale, avec un champ d’intervention qui nous permet de visiter tous les services. Aujourd’hui, les visites des familles sont encore très limitées, voire interdites. Alors, nous accueillons les demandes des proches, qui nous signalent telle ou telle personne à aller voir. Cela reste, bien sûr, une frustration pour les familles ce manque de contact, mais c’est là que notre rôle comme aumônier prend tout son sens. Des membres du personnel soignant peuvent aussi, à leur initiative, nous signaler une personne âgée ou malade qui aurait besoin d’être visitée.

Comme aumônier, je fais des « visitations » tous les jours. Chaque visite est différente et propre à chaque personne. Certains peuvent avoir une demande spirituelle, d’autres non, ce qui compte c’est vraiment la rencontre de l’autre. La première demande de la personne est bien d’être visitée ! En fonction de l’échange que nous avons, peut être proposé un sacrement ; certains peuvent demander le sacrement des malades, d’autres de recevoir la communion. Il n’y a pas de règle. Etre à l’écoute de la personne toute entière, de ses besoins humains et spirituels, reste primordial, à l’image de Jésus qui a visité tant de malades…

Père Olivier Bousseau, aumônier du CHD à la Roche-sur-Yon et à Montaigu

 « Comme le Bon Samaritain, soyons saisis de compassion pour ceux qui sont abandonnés »

Un lépreux s’approcha de Jésus…

La crise, liée à la pandémie mondiale, engendré par la Covid-19, a été source de nombreuses souffrances.

Si l’on peut aisément comprendre la nécessité de mise en quarantaine (ou huitaine) des personnes porteuses de ce virus ainsi que des cas contacts, d’autres mesures ont été beaucoup moins comprises et semblent même inacceptables !

Comment justifier que, trop souvent, des femmes aient dû accoucher seules, sans leur mari, ou n’aient pu avoir aucune visite de leurs proches dans les suites de l’accouchement ?

Comment justifier que nous n’ayons pu visiter nos proches hospitalisés, même non malades de la Covid-19, et parfois les laissant dramatiquement mourir seuls, sans ces derniers adieux si nécessaires ?

Comment justifier que nos anciens dans les EHPAD aient été confrontés de trop nombreux mois à un isolement forcé, vécu comme un abondant déshumanisant par tant d’entre eux ?

La colère ou la révolte, face à de telles injustices, peuvent jaillir dans nos cœurs. Mais je ne peux me résoudre à me laisser envahir par de tels sentiments.

Osons témoigner d’une espérance ! Que celle des saints du passé viennent nous éclairer pour oser à notre tour la charité, qui seule peut transformer notre monde.

Merci à toi, saint François, toi le Poverello d’Assise, pour ton baiser au lépreux, malgré la répugnance que cela a dû t’inspirer et le grave risque de contagion !

Merci à toi, saint Camille de Lellis et à vous tous les frères camilliens, pour votre quatrième vœu qui vous engage à soigner les malades, même au risque de votre vie !

Merci à toi Saint-Louis de Gonzague, mort de la peste a 23 ans, pour avoir, malgré le dégoût que cela t’inspirer, à voir porter sur tes épaules un pestiféré pour le conduire à l’hôpital !

Laissons le passé d’hier éclairer le passé d’aujourd’hui. L’Eglise nous rappelle que la Parabole du Bon Samaritain doit nous guider. « Le Bon Samaritain, qui quitte son chemin pour venir au secours de l’homme souffrant (cf. Lc 10, 30-37), est l’image de Jésus-Christ qui rencontre l’homme ayant besoin de salut et qui soigne ses blessures et ses douleurs avec l’huile de la consolation et le vin de l’espérance »[1].

Cessons d’êtres les prêtres et les lévites de notre siècle nous détournant des malades au nom de règles sanitaires de distanciation sociale déshumanisante ! Comme le Bon Samaritain, soyons saisis de compassion pour tous ceux qui sont abandonnés, à moitié morts sur le bord du chemin.

Père Philippe Gauer, membre du comité diocésain d’éthique médicale

[1] Congrégation pour la doctrine de la foi, lettre Samaritanus bonus, LEV, 2020.

Propos recueillis par Anne Detter-Leveugle

Article paru dans Catholiques en Vendée, La vie du diocèse de Luçon n°195

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