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Mag #3
3 – Troisième numéro
Enraciner

Dieu « non puissant »

Publié le 21 octobre 2020

François Euvé, jésuite, professeur de théologie au Centre Sèvres (Paris), rédacteur en chef de la revue Études, aborde d’un point de vue théologique la notion de production du monde.


Dans le Credo, nous confessons un Dieu « tout-puissant ». Cette confession accompagne celle qui reconnaît en ce Dieu le créateur du ciel et de la terre. Le rapprochement paraît évident : la production du monde « à partir de rien » nécessite au moins une toute-puissance ! Mais comment entendre cette puissance à une époque où nous nous interrogeons de plus en plus sérieusement sur l’usage par l’humanité des pouvoirs dont elle dispose ? L’homme n’est-il pas créé « à l’image de Dieu », invité à « soumettre et dominer la terre » (Genèse 1,26-28) ? Il faut reconnaître que bien de nos représentations de la puissance divine procèdent de nos modèles humains : nous voudrions pouvoir tout faire ! Et la technique n’est pas loin de satisfaire nos envies.

Mais comment Dieu exerce-t-il sa puissance ? Il suffira de se tourner vers l’Évangile et de se rendre attentif à la manière de faire de Jésus. Il exerce bien une puissance de guérison. Mais il faut remarquer deux choses : les tentations au désert portent sur l’exercice de la puissance à son seul profit et, à l’inverse, les guérisons s’opèrent dans une rencontre. L’expression qui revient à plusieurs reprises, « ta foi t’a sauvé(e) » montre qu’une communication s’est établie entre deux personnes, une relation sous le signe de la foi-confiance. Elle s’amorce à partir de ce qu’on exprime par le mot de « compassion » qui manifeste une profonde ouverture du cœur. Il est pertinent de parler de « vulnérabilité », comme capacité d’être touché au plus profond de soi. Jésus n’exerce pas sa puissance à distance, mais dans une grande proximité au point de partager avec autrui la puissance de vie qui l’habite.

Pour critiquer la puissance potentiellement destructrice que détient l’humanité moderne, le philosophe et théologien Jacques Ellul emploie la notion de « non-puissance ». Elle se distingue de l’impuissance qui qualifie l’impossibilité de faire quelque chose et se définit plutôt par la libre décision de ne pas faire ce que l’on aurait les moyens de faire. Elle suppose donc une limitation, un arrêt. Mais l’important est de comprendre que cette limitation est au profit d’autrui. C’est le modèle du « shabbat » : au septième jour, Dieu arrête son œuvre créatrice afin de permettre à d’autres instances de la poursuivre. Dieu se refuse, en quelque sorte, à occuper toute la place. Sa toute-puissance se manifeste dans une puissance partagée au profit de la construction d’un monde commun.

Cela doit nous servir d’exemple dans notre relation aux autres créatures. Si nous bénéficions d’une puissance, elle ne sera profitable que si nous la communiquons largement. Cela suppose de savoir nous limiter pour laisser place à d’autres instances et reconnaître en elles un frère ou une sœur avec qui nous menons une œuvre commune.

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