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Mag #7
7 – Septième numéro
Enraciner

Aux membres du Corps Diplomatique accrédités auprès du Saint-Siège, pour l’année 2021.

Publié le 10 mai 2021

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Je remercie le Doyen, Son Excellence Monsieur Georges Poulides, Ambassadeur de Chypre, pour les paroles courtoises et les vœux qu’il a exprimés en votre nom à tous, et je m’excuse avant tout pour les inconvénients que l’annulation de la rencontre prévue le 25 janvier peut vous avoir causé. Je vous suis reconnaissant pour votre compréhension et votre patience et pour avoir accueilli l’invitation à être présents ce matin, malgré les difficultés, pour notre traditionnel rendez-vous.

Nous nous rencontrons ce matin dans le cadre plus vaste de la Salle des Bénédictions, pour respecter l’exigence de l’importante distanciation personnelle à laquelle la pandémie nous oblige. Toutefois, la distance est seulement physique. Notre rencontre symbolise plutôt le contraire. Elle est un signe de proximité, de cette proximité et de ce soutien réciproque auxquels doit aspirer la famille des nations. En ce temps de pandémie il s’agit d’un devoir encore plus contraignant, puisqu’il est évident pour tout le monde que le virus ne connaît pas de barrières ni ne peut être facilement isolé. Le vaincre est donc une responsabilité qui interpelle chacun de nous personnellement, comme aussi nos pays.

Je vous suis donc reconnaissant pour l’engagement que vous prenez quotidiennement afin de favoriser les relations entre les pays ou les Organisations Internationales que vous représentez et le Saint-Siège. Nombreux sont les témoignages de proximité réciproque que nous avons pu échanger au cours de ces mois, grâce aussi à l’utilisation des nouvelles technologies qui ont permis de dépasser les restrictions causées par la pandémie.

Sans aucun doute, nous aspirons tous à reprendre dès que possible les contacts en présentiel, et notre rencontre aujourd’hui entend être un signe de bon augure en ce sens. De même, c’est mon désir de reprendre prochainement les voyages apostoliques, en commençant par celui d’Irak, prévu en mars prochain. Les voyages constituent, en effet, un aspect important de la sollicitude du Successeur de Pierre pour le Peuple de Dieu répandu dans le monde entier, comme aussi du dialogue du Saint-Siège avec les Etats. De plus, ils sont souvent l’occasion propice pour approfondir, dans un esprit de partage et de dialogue, les relations entre des religions différentes. A notre époque, le dialogue interreligieux est une composante importante de la rencontre entre peuples et cultures. Lorsqu’il est compris non comme renoncement à son identité, mais comme occasion de plus grande connaissance et d’enrichissement réciproque, il constitue une opportunité pour les guides religieux et pour les fidèles des diverses confessions et peut soutenir l’œuvre des leaders politiques dans leurs responsabilités d’édifier le bien commun.

Egalement importants sont les accords internationaux qui permettent d’approfondir les liens de confiance réciproque et permettent à l’Eglise de coopérer avec une plus grande efficacité au bien-être spirituel et social de vos pays. Dans cette perspective, je désire mentionner ici l’échange des instruments de ratification de l’Accord-cadre entre le Saint-Siège et la République Démocratique du Congo, et de l’Accord sur le statut juridique de l’Eglise catholique au Burkina Faso, ainsi que la signature du Septième Accord Additionnel entre le Saint-Siège et la République d’Autriche lors de la Convention pour le Règlement des Rapports Patrimoniaux, du 23 juin 1960. De plus, le 22 octobre dernier, le Saint-Siège et la République Populaire de Chine ont décidé de prolonger, pour deux autres années, la validité de l’Accord provisoire sur la nomination des Evêques en Chine, signé à Pékin en 2018. Il s’agit d’une entente à caractère essentiellement pastoral, et le Saint-Siège souhaite que le chemin entrepris se poursuive dans un esprit de respect et de confiance réciproques, contribuant en outre à la solution des questions d’intérêt commun.

Chers Ambassadeurs,

l’année qui vient de s’achever a laissé derrière elle un fardeau de peur, de découragement et de désespoir, ainsi que beaucoup de deuil. Elle a mis les personnes dans une spirale de distance et de suspicion réciproque et a poussé les Etats à ériger des barrières. Le monde interconnecté auquel nous étions habitués a cédé le pas à un monde à nouveau fragmenté et divisé. Néanmoins, les retombées de la pandémie sont vraiment globales, à la fois parce qu’elle implique de fait toute l’humanité et tous les pays du monde, et parce qu’elle affecte de  multiples aspects de notre vie, contribuant à aggraver « des crises très fortement liées entre elles, comme les crises climatique, alimentaire, économique et migratoire ».[1] A la lumière de cette considération, j’ai jugé opportun de créer la Commission Vaticane Covid-19, dans le but de coordonner la réponse du Saint-Siège et de l’Eglise aux sollicitations venues des diocèses du monde entier, pour faire face à l’urgence sanitaire et aux nécessités que la pandémie a fait émerger.

Dès le début, en effet, il est apparu évident que la pandémie allait affecter considérablement le style de vie auquel nous étions habitués, en limitant les commodités et les certitudes bien établies. Elle nous a mis en crise, en nous montrant le visage d’un monde malade non seulement à cause du virus, mais aussi dans l’environnement, dans les processus économiques et politiques, et plus encore dans les relations humaines. Elle a mis en lumière les risques et les conséquences d’un mode de vie dominé par l’égoïsme et la culture du rejet, et nous a placés devant une alternative : continuer sur la route jusqu’à présent parcourue ou entreprendre un nouveau chemin.

Je voudrais donc m’arrêter sur certaines des crises provoquées ou mises en évidence par la pandémie, en regardant en même temps les opportunités qui en dérivent pour édifier un monde plus humain, juste, solidaire et pacifique.

Crise sanitaire

La pandémie nous a mis puissamment devant deux dimensions incontournables de l’existence humaine : la maladie et la mort. C’est pourquoi elle rappelle la valeur de la vie, de chaque vie humaine avec sa dignité, à chaque instant de son itinéraire terrestre, de sa conception dans le sein maternel jusqu’à sa fin naturelle. Malheureusement, il est douloureux de constater que, prétextant garantir de prétendus droits subjectifs, un nombre croissant de législations dans le monde semble s’éloigner du devoir essentiel de protéger la vie humaine dans chacune de ses phases.

La pandémie nous rappelle aussi le droit au soin dont chaque être humain est destinataire, comme je l’ai aussi souligné dans le message pour la Journée Mondiale de la Paix, célébrée le 1er janvier dernier. « Toute personne humaine est une fin en soi, jamais un simple instrument à évaluer seulement en fonction de son utilité. Elle est créée pour vivre ensemble dans la famille, dans la communauté, dans la société où tous les membres sont égaux en dignité. C’est de cette dignité que dérivent les droits humains, et aussi les devoirs, qui rappellent, par exemple, la responsabilité d’accueillir et de secourir les pauvres, les malades, les marginaux ».[2] Si on supprime le droit à la vie des plus faibles, comment pourra-t-on garantir avec efficacité tous les autres droits ?

Dans cette perspective, je renouvelle mon appel afin qu’à toute personne humaine soient offerts les soins et l’assistance dont elle a besoin. A cet effet, il est indispensable que ceux qui ont des responsabilités politiques et de gouvernement s’efforcent avant tout de favoriser l’accès universel à l’assistance sanitaire de base, en encourageant aussi la création de services médicaux locaux et de structures sanitaires appropriées aux exigences réelles de la population, ainsi que la disponibilité des thérapies et des médicaments.La logique du profit ne peut, en effet, guider un domaine aussi délicat que celui de l’assistance sanitaire et des soins.

Ensuite, il est indispensable que les progrès médicaux et scientifiques considérables réalisés au fil des ans, qui ont permis de synthétiser à très court terme des vaccins qui s’annoncent efficaces contre le coronavirus, aillent au bénéfice de toute l’humanité. J’exhorte donc tous les Etats à contribuer activement aux initiatives internationales visant à assurer une distribution équitable des vaccins, non pas selon des critères purement économiques mais en tenant compte des nécessités de tous, spécialement de celles des populations les plus nécessiteuses.

De toute façon, devant un ennemi sournois et imprévisible tel que la Covid-19, l’accessibilité des vaccins doit être toujours accompagnée de comportements personnels responsables visant à interdire la propagation de la maladie, à travers les mesures nécessaires de prévention auxquelles nous nous sommes désormais habitués ces mois-ci. Il serait fatal de mettre sa confiance seulement dans le vaccin, comme s’il était une solution miracle qui dispense de l’engagement constant de chacun pour sa santé et celle des autres. La pandémie nous a montré que personne n’est une île, en évoquant l’expression célèbre du poète anglais John Donne, et que « la mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain ».[3]

Crise environnementale

Ce n’est pas seulement l’être humain qui est malade, notre Terre l’est aussi. La pandémie nous a montré encore une fois combien elle aussi est fragile et a besoin de soins.

Il y a certainement de profondes différences entre la crise sanitaire provoquée par la pandémie et la crise écologique causée par une exploitation aveugle des ressources naturelles. Cette dernière a une dimension beaucoup plus complexe et permanente, et demande des solutions partagées à long terme. En réalité, les impacts, par exemple, du changement climatique, qu’ils soient directs, tels que les évènements atmosphériques extrêmes comme inondations et sécheresses, ou indirects, comme la malnutrition ou les maladies respiratoires, sont souvent lourds de conséquences qui subsisteront longtemps.

La résolution de ces crises demande une collaboration internationale pour le soin de notre maison commune. Je souhaite donc que la prochaine Conférence des Nations Unies sur le climat (COP26), prévue à Glasgow en novembre prochain, permette de trouver une entente efficace pour affronter les conséquences du changement climatique. C’est le moment d’agir, parce que nous pouvons déjà toucher du doigt les effets d’une inaction prolongée.

Je pense par exemple aux répercussions sur les nombreuses petites îles de l’Océan Pacifique qui risquent progressivement de disparaître. C’est une tragédie qui cause non seulement la destruction de villages entiers, mais qui contraint aussi les communautés locales, et surtout les familles, à se déplacer continuellement, perdant identité et culture. Je pense aussi aux inondations dans le Sud-Est asiatique, spécialement au Vietnam et aux Philippines, qui ont provoqué des victimes et laissé des familles entières sans moyens de subsistance. On ne peut pas non plus garder le silence sur le réchauffement progressif de la terre qui a causé des incendies dévastateurs en Australie et en Californie.

De même en Afrique, les changements climatiques aggravés par des interventions inconsidérées de l’homme, et maintenant par la pandémie, sont cause de grave préoccupation. Je pense avant tout à l’insécurité alimentaire qui au cours de la dernière année a frappé particulièrement le Burkina Faso, le Mali et le Niger, avec des millions de personnes qui souffrent de la faim ; comme aussi à la situation au Sud Soudan, où l’on court le risque d’une famine et où, par ailleurs, persiste une grave urgence humanitaire : plus d’un million d’enfants souffrent de carences alimentaires alors que les corridors humanitaires sont souvent entravés et que la présence des agences humanitaires sur le territoire est limitée. Pour faire face à cette situation, il est aussi très urgent que les Autorités sud-soudanaises dépassent les incompréhensions et poursuivent le dialogue politique pour une pleine réconciliation nationale.

Crise économique et sociale

L’objectif de maîtriser le coronavirus a poussé de nombreux gouvernements à adopter des mesures restrictives de la liberté de circulation, qui ont entraîné, pour plusieurs mois, la fermeture des établissements commerciaux et le ralentissement général des activités productives, avec de graves retombées sur les entreprises, surtout les moyennes et petites, sur l’emploi et en conséquence sur la vie des familles et de couches entières de la société, particulièrement les plus faibles.

La crise économique qui s’en est suivie a mis en évidence une autre maladie qui affecte notre temps : celle d’une économie basée sur l’exploitation et sur le rejet aussi bien des personnes que des ressources naturelles. On a trop souvent oublié la solidarité et les autres valeurs qui permettent à l’économie d’être au service du développement humain intégral, au lieu d’intérêts particuliers, et on a perdu de vue la valeur sociale de l’activité économique et la destination universelle des biens et des ressources.

La crise actuelle est donc l’occasion propice pour repenser le rapport entre la personne et l’économie. Il faut une sorte de “nouvelle révolution copernicienne” qui remette l’économie au service de l’homme et non l’inverse, en « commençant à étudier et pratiquer une économie différente, qui fasse vivre et non pas mourir, qui inclut et n’exclut pas, qui humanise et ne déshumanise pas, qui prenne soin de la création sans la piller ».[4]

Pour faire face aux conséquences négatives de cette crise, plusieurs gouvernements ont prévu diverses initiatives et l’allocation de financements substantiels. Cependant, il n’est pas rare qu’on ait eu tendance à rechercher des solutions particulières à un problème qui, au contraire, est mondial. Aujourd’hui moins que jamais on ne peut penser à s’en sortir tout seul. Des initiatives communes et partagées même au niveau international sont nécessaires, surtout en faveur de l’emploi et de la protection des couches les plus pauvres de la population. Dans cette perspective, je considère important l’engagement de l’Union Européenne et de ses Etats membres, qui, malgré les difficultés, ont su montrer qu’on peut travailler avec détermination pour parvenir à des compromis satisfaisants au profit de tous les citoyens. Le crédit proposé par le plan Next Generation EU représente un exemple significatif de la manière dont la collaboration et le partage des ressources dans un esprit de solidarité sont non seulement des objectifs souhaitables, mais réellement accessibles.

Dans de nombreuses parties du monde, la crise a surtout affecté ceux qui travaillent dans les secteurs informels qui ont été les premiers à voir disparaître leurs moyens de subsistance. Vivant en dehors des marges de l’économie formelle, ils n’ont pas non plus accès aux amortisseurs sociaux, y compris l’assurance contre le chômage et l’assistance sanitaire. Ainsi, poussés par le désespoir, beaucoup ont cherché d’autre formes de revenu, en s’exposant à être exploités par le travail au noir ou forcé, la prostitution et diverses activités criminelles, parmi lesquelles le trafic des personnes.

Au contraire, tout être humain a droit – a droit ! – aux « moyens nécessaires et suffisants pour une existence décente »[5] et doit être mis en condition pour les obtenir. Il est nécessaire, en effet, que soit assurée à tous la stabilité économique pour éviter les plaies de l’exploitation et combattre l’usure et la corruption qui affligent beaucoup de pays dans le monde, et beaucoup d’autres injustices qui sont pratiquées tous les jours sous le regard fatigué et distrait de notre société contemporaine.

Le temps plus important passé à la maison a aussi conduit à rester plus longtemps de manière aliénante devant l’ordinateur et d’autres moyens de communication, avec de graves retombées sur les personnes les plus vulnérables, spécialement les pauvres et les chômeurs. Ils sont des proies plus faciles de la criminalité informatique – le cybercrime – dans ses aspects les plus déshumanisants, depuis les fraudes jusqu’à la traite d’êtres humains, à l’exploitation de la prostitution, y compris infantile, ainsi qu’à la pédopornographie.

La fermeture des frontières à cause de la pandémie, ainsi que la crise économique, ont aussi accentué différentes urgences humanitaires, tant dans les zones de conflit que dans les régions frappées par le changement climatique et par la sécheresse, ainsi que dans les camps pour réfugiés et migrants. Je pense particulièrement au Soudan, où se sont réfugiées des milliers de personnes fuyant la région du Tigré, comme aussi à d’autre pays de l’Afrique subsaharienne, ou bien à la région du Cabo Delgado au Mozambique où beaucoup ont été contraints d’abandonner leur territoire et se trouvent maintenant dans des conditions très précaires. Mes pensées vont aussi au Yémen et à la bien-aimée Syrie, où, en plus d’autres graves urgences, l’insécurité alimentaire afflige une grande partie de la population et où les enfants sont épuisés par la malnutrition.

Dans de nombreux cas, les crises humanitaires sont aggravées par les sanctions économiques qui, le plus souvent, finissent par se répercuter principalement sur les couches les plus faibles de la population, plutôt que sur les responsables politiques. Dès lors, tout en comprenant la logique des sanctions, le Saint-Siège n’en voit pas l’efficacité et souhaite leur assouplissement pour favoriser aussi le flux d’aides humanitaires, tout d’abord de médicaments et de matériel sanitaire, extrêmement nécessaires en ce temps de pandémie.

Que la conjoncture que nous traversons soit de manière analogue un stimulant pour remettre, ou au moins réduire, la dette qui pèse sur les pays les plus pauvres et qui de fait en empêche la relance et le plein développement.

L’année dernière a vu aussi une augmentation supplémentaire des migrants, qui, à cause de la fermeture des frontières, ont dû recourir à des parcours toujours plus dangereux. Le flux massif a par ailleurs fait face à une croissance du nombre des refoulements illégaux, souvent mis en œuvre pour empêcher aux migrants de demander l’asile, en violation du principe de non-refoulement. Beaucoup sont interceptés et rapatriés dans des camps de regroupement et de détention où ils subissent tortures et violations des droits humains, lorsqu’ils ne trouvent pas la mort en traversant mers et autres frontières naturelles.

Les corridors humanitaires, implantés au cours des dernières années, contribuent certainement à affronter certaines des problématiques susmentionnées, sauvant de nombreuses vies. Toutefois, la portée de la crise rend toujours plus urgent d’attaquer à la racine les causes qui poussent à migrer, comme elle exige aussi un effort commun pour soutenir les pays de premier accueil qui assument l’obligation morale de sauver des vies humaines. A ce sujet, on attend avec intérêt la négociation du Nouveau Pacte de l’Union Européenne sur la migration et l’asile, tout en observant que les politiques et les mécanismes concrets ne fonctionneront que s’ils seront soutenus par la volonté politique nécessaire et par l’engagement de toutes les parties en cause, y compris la société civile et les migrants eux-mêmes.

Le Saint-Siège apprécie tous les efforts accomplis en faveur des migrants et appuie l’engagement de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), dont cette année marque le 70e anniversaire de la fondation, dans le plein respect des valeurs exprimées dans sa Constitution ainsi que de la culture des Etats membres où l’Organisation œuvre. Egalement, le Saint-Siège, membre du Comité exécutif du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), reste fidèle aux principes énoncés dans la Convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés et au Protocole de 1967, qui établissent la définition légale de réfugié, leurs droits, ainsi que l’obligation légale des Etats de les protéger.

Depuis la Deuxième guerre mondiale, le monde n’avait pas encore assisté à une augmentation aussi dramatique du nombre de réfugiés, comme celle que nous voyons aujourd’hui. Il est donc urgent que se renouvelle l’engagement pour leur protection, de même que pour celle des déplacés internes et de toutes les personnes vulnérables contraintes de fuir les persécutions, la violence, les conflits et les guerres. A cet égard, malgré les efforts importants faits par les Nations Unies dans la recherche de solutions et de propositions concrètes pour affronter de manière cohérente le problème des déplacements forcés, le Saint-Siège exprime sa préoccupation pour la situation des personnes déplacées dans différentes parties du monde. Je pense avant tout à la région centrale du Sahel, où, en moins de deux ans, le nombre des déplacés internes a augmenté de vingt fois.

Crise de la politique

Les défis que j’ai évoqués jusqu’ici mettent en relief une crise bien plus profonde, qui d’une certaine manière demeure à la racine des autres, dont le tragique a été mis en lumière par la pandémie. C’est la crise politique qui depuis un certain temps investit de nombreuses sociétés, et dont les effets déchirants ont émergé durant la pandémie.

L’un des facteurs emblématiques de cette crise est la croissance des affrontements politiques et la difficulté, pour ne pas dire l’incapacité, à rechercher des solutions communes et partagées aux problèmes qui affligent notre planète. C’est une tendance à laquelle on assiste maintenant depuis un certain temps et qui se répand toujours plus, même dans des pays de tradition démocratique ancienne. Maintenir vivantes les réalités démocratiques est un défi de ce moment historique[6], qui intéresse de près tous les Etats : qu’ils soient petits ou grands, économiquement avancés ou en voie de développement. Ces jours-ci, ma pensée va de façon particulière au peuple du Myanmar, auquel j’exprime mon affection et ma proximité. Le chemin vers la démocratie entrepris ces dernières années a été brusquement interrompu par le coup d’état de la semaine dernière. Il a conduit à l’incarcération de plusieurs responsables politiques, qui je l’espère seront rapidement libérés, comme signe d’encouragement en vue d’un dialogue sincère pour le bien du pays.

D’autre part, comme l’affirmait Pie XII dans son mémorable Radio message de Noël 1944 : « Exprimer son opinion personnelle sur les devoirs et les sacrifices qui lui sont imposés ; ne pas être contraint d’obéir sans avoir été entendu : voilà deux droits du citoyen qui trouvent dans la démocratie, comme le nom l’indique, leur expression ».[7] La démocratie se base sur le respect réciproque, sur la possibilité de tous de concourir au bien de la société et sur la considération que des opinions différentes, non seulement ne sapent pas le pouvoir et la sécurité des Etats, mais, dans une confrontation honnête, enrichissent mutuellement et permettent de trouver des solutions plus appropriées aux problèmes à affronter. Le processus démocratique demande qu’on poursuive le chemin du dialogue inclusif, pacifique, constructif et respectueux entre toutes les composantes de la société civile dans chaque ville et chaque nation. Les évènements qui, même de manières et dans des contextes différents, ont caractérisé la dernière année de l’orient à l’occident, même – je répète – dans des pays de longue tradition démocratique, disent combien ce défi est inévitable et comment on ne peut se dispenser de l’obligation morale et sociale de l’affronter avec une attitude positive. Le développement d’une conscience démocratique exige qu’on dépasse les tendances trop personnelles et que prévale le respect de l’état de droit. Le droit est en effet le présupposé indispensable pour l’exercice de tout pouvoir et il doit être garanti par les organes qui en sont chargés, indépendamment des intérêts politiques dominants.

Malheureusement, la crise de la politique et des valeurs démocratiques se répercute aussi au niveau international, avec des retombées sur tout le système multilatéral et la conséquence évidente que des Organisations pensées pour favoriser la paix et le développement – sur la base du droit et non de la “loi du plus fort” – voient compromise leur efficacité. Certainement, on ne peut taire que, ces dernières années, le système multilatéral a également montré certaines limites. La pandémie est une occasion à ne pas perdre pour penser et mettre en œuvre des réformes organiques, afin que les Organisations internationales retrouvent leur vocation essentielle à servir la famille humaine pour préserver la vie de toute personne et la paix.

L’un des signes de la crise de la politique est la réticence qui survient souvent pour entreprendre des voies de réforme. Il ne faut pas avoir peur des réformes, même si elles demandent des sacrifices et souvent un changement de mentalité. Chaque corps vivant a continuellement besoin de se réformer, et les réformes qui intéressent le Saint-Siège et la Curie Romaine s’inscrivent aussi dans cette perspective.

Néanmoins, les signes encourageants ne manquent pas, et, parmi eux, l’entrée en vigueur il y a quelques jours du Traité pour l’Interdiction des Armes Nucléaires, de même que l’extension pour un quinquennat supplémentaire du Nouveau Traité sur la Réduction des Armes stratégiques (le New START) entre la Fédération Russe et les Etats-Unis d’Amérique. Par ailleurs, comme je l’ai également rappelé dans la récente encyclique Fratelli tuttii, « si nous prenons en considération les principales menaces à la paix et à la sécurité dans leurs multiples dimensions dans ce monde multipolaire du XXIème siècle, […] de nombreux doutes surgissent en ce qui concerne l’insuffisance de la dissuasion nucléaire comme réponse efficace à ces défis ».[8] En effet, « un équilibre fondé sur la peur n’est pas durable, quand il tend, de fait, à accroître la peur et à porter atteinte aux relations de confiance entre les peuples ».[9]

L’effort dans le domaine du désarmement et de la non-prolifération des armements nucléaires, qui doit être intensifié malgré les difficultés et les réticences, devrait être également conduit vis à vis des armes chimiques et des armes conventionnelles. Il y a trop d’armes dans le monde ! Saint Jean XXIII affirmait en 1963 : « La justice, la sagesse, le sens de l’humanité réclament par conséquent qu’on arrête la course aux armements et que l’on réduise parallèlement et simultanément l’armement existant».[10] Et alors qu’avec la multiplication des armes, la violence augmente à tous les niveaux et que nous voyons autour de nous un monde déchiré par les guerres et les divisions, nous sentons grandir toujours davantage l’exigence de paix, d’une paix qui n’est « pas seulement l’absence de guerre, mais une vie pleine de sens, organisée et vécue dans la réalisation personnelle et dans le partage fraternel avec les autres ».[11]

Comme je voudrais que 2021 soit l’année où le mot fin soit enfin écrit concernant le conflit syrien, commencé il y maintenant 10 ans ! Pour que cela se réalise, un intérêt renouvelé est nécessaire de la part de la Communauté internationale pour affronter avec sincérité et courage les causes du conflit et rechercher des solutions à travers lesquelles tous, indépendamment de l’appartenance ethnique et religieuse, puissent contribuer en tant que citoyens à l’avenir du pays.

Mon vœu de paix s’adresse bien entendu à la Terre Sainte. La confiance réciproque entre Israéliens et Palestiniens doit être à la base d’un dialogue direct, renouvelé et résolu, entre les parties afin de résoudre un conflit qui perdure depuis trop longtemps. J’invite la Communauté internationale à soutenir et à faciliter ce dialogue direct, sans prétendre dicter des solutions qui n’ont pas pour horizon le bien de tous. Palestiniens et Israéliens – j’en suis sûr – nourrissent tous deux le désir de pouvoir vivre en paix.

De même, je souhaite un engagement politique national et international renouvelé pour favoriser la stabilité du Liban traversé par une crise interne, qui risque de perdre son identité et de se trouver encore plus impliqué dans les tensions régionales. Il est plus que jamais nécessaire que le pays garde son identité unique, également pour assurer l’existence d’un Moyen Orient pluriel, tolérant et divers, où la présence chrétienne puisse offrir sa contribution et ne soit pas réduite à une minorité qu’il faut protéger. Les chrétiens constituent le tissu conjonctif historique et social du Liban et, à travers les multiples œuvres éducatives, sanitaires et caritatives, la possibilité de continuer à œuvrer pour le bien du pays dont ils ont été les fondateurs doit leur être assurée. Affaiblir la communauté chrétienne risque de détruire l’équilibre interne et la réalité libanaise elle-même. La présence des réfugiés syriens et palestiniens doit aussi être abordée dans cette optique. De plus, en absence d’un processus urgent de reprise économique et de reconstruction, l’on risque la faillite du pays, avec la conséquence possible de dangereuses dérives fondamentalistes. Il est donc nécessaire que tous les responsables politiques et religieux, les intérêts particuliers ayant été mis de côté, s’engagent à poursuivre la justice et à mettre en œuvre de vraies réformes pour le bien des citoyens, en agissant de manière transparente et en assumant la responsabilité de leurs actions.

Je souhaite aussi la paix pour la Libye, elle aussi déchirée par un conflit maintenant bien long, avec l’espérance que le récent Forum du Dialogue Politique Libyen, qui s’est tenu en Tunisie en novembre dernier sous l’égide des Nations Unies, permette, dans les faits, le commencement du processus attendu de paix et de réconciliation du pays.

D’autres parties du monde suscitent aussi de l’inquiétude. Je fais référence en premier lieu aux tensions politiques et sociales en République Centrafricaine ; comme aussi à celles relatives à l’Amérique Latine en général qui ont des racines dans les profondes inégalités, dans les injustices et dans la pauvreté qui offensent la dignité des personnes. De même, je suis avec une particulière attention la détérioration des relations dans la péninsule coréenne, culminant avec la destruction du bureau de liaison intercoréen à Kaesong ; également la situation dans le Caucase méridional où divers conflits gelés perdurent, certains rallumés au cours de l’année passée, qui minent la stabilité et la sécurité de toute la région.

Enfin, je ne peux pas oublier une autre grave plaie de notre époque : le terrorisme qui chaque année fauche partout dans le monde de nombreuses victimes parmi les populations civiles sans défense. C’est un mal qui a grandi à partir des années 70 du siècle dernier et qui a culminé dans les attentats du 11 septembre 2001 frappant les Etats Unis d’Amérique et tuant près de 3000 personnes. Malheureusement, le nombre d’attentats s’est toujours intensifié ces 20 dernières années touchant divers pays sur tous les continents. Je fais référence, en particulier, au terrorisme qui frappe surtout en Afrique subsaharienne, mais aussi en Asie et en Europe. Ma pensée va à toutes les victimes et à leurs familles qui se sont vues arracher des personnes chères par une violence aveugle, motivée par des déformations idéologiques de la religion. Par ailleurs, les objectifs de ces attaques sont souvent, précisément, les lieux de culte où les fidèles sont rassemblés en prière. A cet égard, je voudrais souligner que la protection des lieux de culte est une conséquence directe de la défense de la liberté de pensée, de conscience et de religion, et qu’elle est un devoir pour les Autorités civiles, indépendamment de la couleur politique et de l’appartenance religieuse.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

arrivant à la conclusion de mes réflexions, je désire m’arrêter encore sur une dernière crise qui, parmi toutes, est peut-être la plus grave : la crise des relations humaines, expression d’une crise anthropologique générale qui concerne la conscience même de la personne humaine et sa dignité transcendante.

La pandémie qui nous a contraints à de longs mois d’isolement, et souvent de solitude, a fait apparaître la nécessité pour toute personne d’avoir des relations humaines. Je pense avant tout aux étudiants qui n’ont pas pu aller régulièrement à l’Université. « On a cherché partout à mettre en route une réponse rapide par des plates-formes pédagogiques informatisées ; celles-ci ont révélé non seulement une forte disparité des opportunités éducatives et technologiques, mais aussi que, à cause du confinement et de beaucoup d’autres lacunes déjà existantes, de nombreux enfants et adolescents sont restés en arrière dans le processus naturel du développement pédagogique ».[12] De plus, l’augmentation de l’enseignement à distance a impliqué une plus grande dépendance des enfants et des adolescents à internet et aux formes de communications virtuelles en général, les rendant par ailleurs plus vulnérables et plus exposés aux activités criminelles on line.

Nous assistons à une sorte de “catastrophe éducative”. Je voudrais le répéter : nous assistons à une sorte de “catastrophe éducative”, face à laquelle on ne peut rester inerte, pour le bien des générations futures et de toute la société. « Aujourd’hui, est nécessaire une nouvelle époque d’engagement éducatif qui implique toutes les composantes de la société »,[13] car l’éducation « est l’antidote naturel à la culture individualiste, qui quelquefois dégénère en un véritable culte du « moi » et dans le primat de l’indifférence. Notre avenir ne peut pas être la division, l’appauvrissement des facultés de pensée et d’imagination, d’écoute, de dialogue et de compréhension mutuelle ».[14]

Mais les longues périodes de confinement ont aussi permis de passer plus de temps en famille. Pour beaucoup il s’est agi d’un moment important pour redécouvrir les relations les plus chères. D’ailleurs, mariage et famille « constituent l’un des biens les plus précieux de l’humanité » [15] et le berceau de toute société civile. Le grand Pape saint Jean-Paul II, dont nous avons célébré le centenaire de la naissance l’an dernier, rappelait dans son précieux magistère sur la famille : « Face à la dimension mondiale qui de nos jours caractérise les différents problèmes sociaux, la famille voit s’élargir de façon tout à fait nouvelle son rôle en ce qui concerne le développement de la société » et le réalise avant tout « en offrant aux enfants un modèle de vie fondé sur les valeurs de vérité, de liberté, de justice et d’amour ».[16] Cependant, tous n’ont pas pu vivre avec sérénité dans leur maison, et certaines cohabitations ont dégénéré en violences domestiques. J’exhorte tout le monde, autorités publiques et société civile, à soutenir les victimes de la violence en famille : nous savons malheureusement que ce sont les femmes, souvent en même temps que leurs enfants, qui payent le prix le plus cher.

Les exigences pour contenir la diffusion du virus ont aussi eu des conséquences sur diverses libertés fondamentales, y compris la liberté de religion, en limitant le culte et les activités éducatives et caritatives des communautés de foi. Il ne faut pas négliger cependant le fait que la dimension religieuse constitue un aspect fondamental de la personnalité humaine et de la société, qui ne peut être effacé ; et que, alors que l’on cherche à protéger les vies humaines de la diffusion du virus, on ne peut considérer la dimension spirituelle et morale de la personne comme secondaire par rapport à la santé physique.

La liberté de culte n’est cependant pas un corollaire de la liberté de réunion mais dérive essentiellement du droit à la liberté religieuse qui est le premier et plus fondamental droit humain. Il est donc nécessaire que celle-ci soit respectée, protégée et défendue par les Autorités civiles, comme la santé et l’intégrité physique. D’ailleurs, un bon soin du corps ne peut jamais faire abstraction du soin de l’âme.

En écrivant à Cangrande della Scala, Dante Alighieri souligne à la fin de sa Comédie : « Eloigner ceux qui vivent cette vie de l’état de misère et les conduire à un état de bonheur ».[17] Tel est aussi, avec des rôles et dans des cadres différents, la tâche des autorités tant religieuses que civiles. La crise des relations humaines et, en conséquence, les autres crises que j’ai mentionnées, ne peuvent être vaincues qu’en sauvegardant la dignité transcendante de toute personne humaine, crée à l’image et à la ressemblance de Dieu.

En faisant mémoire du grand poète florentin, dont c’est cette année le septième centenaire de la mort, je désire aussi adresser une pensée particulière au peuple italien qui, le premier en Europe, s’est trouvé confronté aux graves conséquences de la pandémie, l’encourageant à ne pas se laisser abattre par les difficultés présentes, mais à travailler uni pour construire une société où personne ne soit rejeté ni oublié.

Chers Ambassadeurs,

2021 est un temps qu’il ne faut pas perdre. Et il ne sera pas perdu dans la mesure où nous saurons collaborer avec générosité et engagement. En ce sens, je pense que la fraternité est le véritable remède à la pandémie et aux nombreux maux qui nous ont frappés. Fraternité et espérance sont des remèdes dont le monde a besoin aujourd’hui, autant que des vaccins.

Sur chacun de vous et sur vos pays, j’invoque l’abondance des dons célestes, formant le vœu que cette année soit favorable à l’approfondissement des liens de fraternité qui relient la famille humaine tout entière.

Merci.

 


[1] Message pour la Journée Mondiale de la Paix (8 décembre 2020), n. 1.

[2] Ibid., n. 6.

 

[3] J. Donne, Meditazione XVII, in : Devozioni per occasioni d’emergenza, Editori Riuniti, Roma 1994, pp. 112-113.

[4] Lettre pour l’évènement “Economy of Francesco” (1er mai 2019).

[5] Lett. enc. Pacem in terris (11 avril 1963), n. 11.

[6] Cf. Discours au Parlement Européen, Strasbourg (25 novembre 2014).

[7] Radio message aux peuples du monde entier, 24 décembre 1944.

[8]Message à la Conférence de l’ONU pour la négociation d’un instrument juridiquement contraignant visant à interdire les armes nucléaires en vue de leur élimination complète (23 mars 2017) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française (6 avril 2017), p. 5 : Lett. enc. Fratelli tutti, n. 262.

[9]Ibid.

[10] S. Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in terris (11 avril 1963), n. 112.

[11]  Angelus, 1er janvier 2021.

[12] Video message à l’occasion de la rencontre “Global compact on education. Together to look beyond” (15 octobre 2020).

[13] Ibid.

[14] Ibid.

[15] S. Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 1.

[16] Ibid. n. 48.

[17] Lettre 13, 39.

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