Mag #4 4 – Quatrième numéro Enraciner
Et si le Noël confiné était l’occasion de goûter aux joies de la sobriété…
Quel plus beau symbole de la simplicité que la naissance de Jésus-Christ, le Verbe fait chair, une nuit d’hiver dans une étable à Bethléem ? Et si nous profitions du confinement imposé par la Covid-19 pour non seulement revenir au message clé de la Nativité – l’incarnation de Dieu en nous – mais aussi accomplir un pas vers la sobriété joyeuse ? Et si nous transformions les contraintes subies en autolimitations choisies ? Non pas à la force de notre seule volonté, mais à travers ce à quoi nous invite ce temps de l’Avent : à l’instar de Marie, une ouverture de tout notre être à la grâce de l’Esprit saint. Michel Maxime Egger, écothéologien orthodoxe, nous donne quelques pistes de méditation pour envisager la sobriété heureuse à laquelle nous inviterait un Noël confiné, du moins, non habituel.
La pandémie n’est pas qu’un problème sanitaire, soluble par un vaccin. Elle révèle l’impasse d’un système productiviste et consumériste globalisé qui épuise et donne la fièvre à la Terre par sa démesure. Qu’on le veuille ou non, la sobriété est la seule alternative crédible à ce système incompatible avec les limites de la planète. Dans son inspirante encyclique Laudato si’, le pape François en fait l’éloge comme un nouveau mode de vie « prophétique et contemplatif, capable d’aider à apprécier profondément les choses sans être obsédé par la consommation ». Et si nous utilisions l’obligation de « rester chez soi » pour « rentrer en soi », réorienter notre puissance de désir si facilement dégradée en envies par le marché, discerner entre le nécessaire et le superflu, apprendre à « désirer ce qu’on possède » (Saint Augustin) plutôt que nous plaindre de ce qui nous manque ?
La sobriété n’a pas bonne presse. Il est temps cependant de la regarder avec des yeux neufs. Loin d’être une régression, elle est une valeur dynamique promotrice de qualité d’être et de vie. Pour ceux qui y ont goûté, ses fruits sont tout sauf amers. Certes, elle implique un certain renoncement. Non pour se frustrer, mais pour (re)créer un vide – dans la tête, le cœur, l’agenda et les placards – pour autre chose. Non pour se serrer la ceinture, mais pour se recentrer sur l’essentiel. Et si le moins de biens, de shopping, de voyages ou de sports d’hiver était une chance pour plus de liens, de temps pour soi et pour les autres, d’intériorité et de spiritualité ?
Le confinement est pour beaucoup synonyme de ralentissement. Il invite à redécouvrir les vertus de la lenteur. Il suffit d’observer comment, spontanément, nous marchons moins vite sous le soleil pour sentir à quel point elle correspond à une partie de notre être profond. Il faut de la lenteur pour se connecter en profondeur à soi et au mystère de Dieu, pour écouter vraiment l’autre, entrer dans la beauté secrète d’un paysage ou d’un visage, accueillir le souffle du silence, apprécier le goût des aliments, reprendre contact avec notre corps, retrouver « cet accord de la terre et du pied » cher à Albert Camus. Et si nous saisissions ce ralentissement forcé comme une chance pour être pleinement présent et attentif aux choses de la vie en apparence les plus infimes et anodines, mais si bienfaisantes pour l’âme : un signe d’amitié, un sourire, un rayon de soleil, un chant d’oiseau ?
Le pape François décrit la sobriété comme la « capacité de jouir et de vivre intensément avec peu ». Rien à voir donc avec l’abstinence, qui revient à nier la bonté des choses créées. La sobriété n’est pas une privation, mais une libération. Elle n’est pas lourde, mais source de légèreté. Non seulement elle désencombre nos existences, mais elle nous apprend à marcher légèrement sur la terre, en réduisant notre empreinte et notre emprise sur la nature. Elle est, en ce sens, indissociable du respect de la finitude de la Terre et de l’impératif de justice. Une vertu d’autant plus nécessaire que le mode de vie occidental n’est pas durable ni généralisable à l’ensemble de la planète. Et si, dans les bonnes résolutions pour 2021, nous décidions de diminuer nos appétits, nos pulsions d’achat et nos besoins de possession afin d’accorder aux autres créatures – humaines et non humaines – ainsi qu’aux générations futures l’espace nécessaire pour qu’elles puissent vivre et se développer, satisfaire leurs besoins et exercer leurs droits ?
La sobriété, enfin, n’est pas triste. « Si l’argent offre tous les plaisirs, elle ouvre à la joie qui est le bien suprême », déclare l’agro-écologiste Pierre Rabhi. La joie n’est pas le bonheur, car elle ne dépend pas d’éléments extérieurs pour exister et elle va au-delà du bien-être et de l’épanouissement individuels. Elle n’est pas non plus le plaisir qui s’envole rapidement. Elle est en revanche plénitude intérieure. Un pur don du Vivant et de la grâce, qui rend tout possible, même d’embrasser et transfigurer les malheurs et les épreuves : « Je déborde de joie au milieu de toutes mes tribulations » (2 Co 7,4). Quand la joie est là, rien n’y personne ne peut nous l’enlever. Elle brûle en nous comme la lumière dans le buisson ardent. Et si, comme Marie, nous disions « oui » au souffle de l’Esprit, nous laissant emporter par sa vie dans un mouvement d’amour et de simplicité vers les autres et toute la création ?
Michel Maxime Egger est écothéologien orthodoxe, auteur d’ouvrages sur l’écospiritualité, et créateur du réseau Trilogies : www.trilogies.org Il vient de publier « Se libérer du consumérisme – Un enjeu majeur pour l’humanité et la Terre » (Jouvence).