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Mag #9
9 – Neuvième numéro
Enraciner

Reconnaître la présence de Dieu et en être reconnaissant

Publié le 16 septembre 2021

C’est à la lumière de leurs expériences vécues que les Scouts Unitaires de France relisent et intègrent l’écologie intégrale à la pédagogie proposée aux jeunes. Rencontre avec le Fr. Nicolas Burle, o.p., aumônier national des Scouts Unitaires de France (SUF). Par Florence de Maistre.

Comment les Scouts Unitaires de France se sont-ils saisis de l’encyclique Laudato si’ ?

Le rapport à la nature et le scoutisme sont consubstantiels ! Il y a 120 ans Baden Powell, puis le P. Sevin, ont eu cette audace, au moment du développement des grandes villes, de mettre les jeunes dans la nature. De faire même de la nature, le cadre de vie habituel du scout, et également l’un des moyens fondateurs de sa pédagogie avec les jeux. Autre réflexion sur la pédagogie : dans le scoutisme, on apprend des techniques à l’heure où nous sommes envahis de technologies. Qu’importe si l’on ne sait pas lire une carte, puisqu’on a un GPS ! Le scout, lui, développe des techniques, apprend, pour lui-même et au service des autres. La grande contradiction de l’écologie, c’est que de nombreuses personnes en sont adeptes, sans rien connaître à la nature. Nous essayons d’avoir cette cohérence, de savoir distinguer un chêne, d’un hêtre ou d’un sapin qui offrent des bois différents pour le feu ! Nous cultivons ce rapport éclairé avec la nature. Dans l’encyclique Laudato si’, le pape éveille à une nécessaire spiritualité écologique, une spiritualité liée à la Terre. Nous approfondissons cette réflexion pour qu’elle n’en reste pas à la théorie. La pédagogie scoute s’appuie sur le rapport à Dieu, aux proches et à soi-même. Nos jeunes sont de “petits rats des villes” qui campent en forêt : le rapport fondamental à la Terre demande toujours à être repris ! Le P. Sevin disait : “un scout ne laisse rien et ses remerciements aux propriétaires”. Dans ce rien, il y a déjà cette idée de laisser l’environnement beau et propre. Mais il me semble que les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus respectueux que ceux de ma génération. Ils ont acquis une sensibilité écologique, en participant à diverses initiatives de type ramassage de déchets. Ils les éliminent du paysage et limitent leur impact. C’est nouveau.

L’écologie intégrale est-elle un moyen pour apprendre à grandir ?

Le scoutisme est un moyen pour apprendre à grandir, c’est sa matrice ! L’encyclique Laudato si’ offre aux chefs et cheftaines un regard plus large de l’éducation. L’enjeu est de la traduire en langage scout. La loi évoque déjà : “Le scout voit dans la nature l’œuvre de Dieu, il aime les plantes et les animaux.” Reste à la déployer et la mettre en pratique en lien avec les cinq buts du scoutisme [santé, sens du concret, caractère, le sens des autres, le sens de Dieu], en prenant soin d’en n’oublier aucun. Au camp, on prie autour du feu. On bénit la table, puis on rend grâces. La spiritualité scoute très concrète avec le feu, la tente, la route est rejointe par celle de la gratitude évoquée par le pape. Quand le scout voit l’œuvre de Dieu, pour reprendre l’article 6 de la loi, il a une démarche de gratitude envers le Créateur, qui l’envoie porter cet amour tout autour de lui, ce qui comprend la notion de respect des autres. J’aime le mot de Benoît XVI qui, francophile, utilise celui de reconnaissance. Il s’agit de reconnaître la présence de Dieu et d’en être reconnaissant. Il y a encore là, quelque chose de très scout : c’est l’éclaireur pars en reconnaissance du chemin. C’est une spiritualité joyeuse !

Quels enseignements retenez-vous de la crise sanitaire ?

Les rencontres et les relations entre les scouts, alors qu’elles sont fondamentales, ont été très difficiles. C’est toute une jeunesse qui a été empêchée de se voir. Cela interroge énormément sur le regard porté sur les jeunes, considérés uniquement comme des cerveaux. Le scout, c’est un corps et un cœur fait pour vivre pleinement dans le monde ! Nous avons beaucoup de travail pour réparer les dégâts causés par les confinements. J’observe, surtout chez les jeunes adolescentes, nombre de dépression et de scarification dans des proportions jamais vues. La question du “quoi qu’il en coûte” n’était pas seulement relative aux moyens financiers, elle touche à la santé mentale des personnes. Mais je crois que la crise sanitaire pose de bonnes questions, en particulier celle de notre lien à la mort. Elle nous rappelle que nous sommes éphémères, de passage. C’est toujours le thème des camps, inscrits dans un temps donné. Rappelons-nous cette prière : “Fais-nous quitter l’existence, joyeux et pleins d’abandon, comme un scout, après les vacances, s’en retourne à la maison.” La crise remet au cœur de la société la fragilité de toute vie et donc l’importance d’en prendre soin. Elle interpelle : que souhaitons-nous vivre ? Lorsque l’on aborde l’éducation affective des jeunes, on évoque la beauté des corps, leur fragilité et l’importance de les respecter, de même que l’eau est belle et précieuse. Toute cette crise est terrible pour des jeunes qui se construisent, forcés de rester à distance les uns des autres. La situation actuelle renforce ma conviction profonde que rien ne remplace la présence réelle. Voir une personne une heure vaut mille fois plus que 100 lettres ou textos ! La visio rend d’immense service, mais cela n’a rien à voir avec le fait de se rencontrer. Dans les camps, cet été, j’ai par ailleurs constaté un peu tristement, un phénomène de “pépérisation” ou “mémérisation”. Face aux bruits et aux contraintes de la vie de groupe, les jeunes ont cette année eu plus mal, moins de patience, comme s’il y  avait plus d’égoïsme. C’est plus difficile, cette année en particulier, de sortir de son petit rythme « pépère », de son rituel “canapé-netflix”, le soir…

Quels sont les grands rendez-vous de l’année 2021-2022 ?

Nous fêtons nos 50 ans ! Le rendez-vous de l’an dernier est reporté à la Pentecôte prochaine : les 30 000 membres du mouvement sont invités à Chambord ! L’idée est de créer des souvenirs forts pour toute une génération. Tous ceux qui étaient présents en 2007 [centenaire du scoutisme] se souviennent de l’arc-en-ciel apparu, après trois jours de pluie, au milieu de la messe. Et de cette phrase d’une jeannette : “Ils ont même pensé à l’arc-en-ciel” ! Laudato si’ nous rappelle cette disposition d’émerveillement : Dieu a pensé à tout pour que cela soit beau ! La flamme reçue, à nourrir et transmettre sera le thème du rassemblement. Voilà le miracle du scoutisme : chaque année une génération se lève ! Tout peut s’arrêter si les gens ne se rappellent plus de leur promesse. Nous nous inscrivons dans cette continuité, entre mémoire et étape dans cette grande histoire. À noter : tout ce qui sera consommé sera issu des productions locales.

Comment Laudato si’ encourage-t-elle votre mission ?

Le passage sur l’eucharistie est absolument admirable. C’est encore une fois cette spiritualité de la gratitude qui m’accompagne. Nous essayons d’éduquer les jeunes au rapport ajusté au temps, à envisager l’essentiel avant l’urgent. Il s’agit d’être plus libre de choisir, et non subir, le temps donné. C’est vraiment ce que le pape développe dans ces pages. Nous partons du vécu des jeunes. Ils ont passé du temps ensemble, rendu des services, obtenu un badge pour la vie de la patrouille : ils ont de fait pensé aux autres avant eux. Reste à le vivre aussi en dehors du camp ! J’ai reçu cette encyclique comme une confirmation et un encouragement à passer à la vitesse supérieure. Nous sommes appelés à faire de notre mieux. Le faisons-nous vraiment ? Pas toujours, alors : au boulot ! “Le meilleur scout n’est pas le plus expert de ses doigts, mais le plus noble des caractères”. (P. Jacques Sevin, Le scoutisme)

https://www.scouts-unitaires.org/

 

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