Mag #6 6 – Sixième numéro Enraciner
Salut des hommes et Salut de l’environnement
Mgr Camiade est évêque du diocèse de Cahors. Il nous livre ici une réflexion sur le lien entre le Salut des hommes et celui de l’environnement.
Depuis le récit biblique de Noé recueillant dans l’arche des couples d’animaux de chaque espèce (Gn 7,2-3), on voit que lorsque Dieu regarde sa Création comme une réalité à purifier et à sauver il ne s’intéresse pas uniquement à l’espèce humaine. Il semble même que l’espèce humaine n’a pas plus de place que les autres dans l’arche de Noé. La formule « le Salut du monde », en usage dans la liturgie, manifeste avant tout l’universalité du Salut offert aux hommes, mais suggère tout en même temps que la foi chrétienne ne conçoit pas un Salut de l’homme de manière séparée du monde naturel. Si les textes n’y insistent pas, nous pouvons comprendre que c’est parce que cela va de soi. Les constructions de tours, comme à Babel, s’effondrent (cf. Gn 11), les villes perverties comme Sodome sont brûlées au sel (cf. Gn 19) mais la nature desséchée refleurit (cf. Is 35,1-2 ; 41,18-19).
Néanmoins, il y a une spécificité du Salut pour ce qui concerne les hommes, parce que seuls les hommes ont péché. Ainsi, après le péché, Dieu ne part pas à la recherche du serpent mais de l’homme (cf. Gn 3,9). Ceci tout simplement parce que l’homme et la femme, ayant mangé du fruit défendu, éprouvent la honte de leur nudité et se cachent à l’approche de Dieu « qui se promenait dans le jardin » (Gn 3,8). Le jardin ni le serpent n’ont pas disparu après le péché. Mais l’homme, lui, se cache. C’est pourquoi Dieu l’appelle « où es-tu ? ». Le Salut du monde dépend donc avant tout de la place que l’homme y occupe, en présence du Seigneur. Ceci ne veut pas dire que ce Salut ne concerne pas le jardin ni les animaux qui l’habitent (parfois aussi ambigus que le serpent). Chassés du jardin, l’homme et la femme n’en interagissent pas moins avec l’environnement naturel. Cependant, le serpent survit comme ennemi de la femme et la générosité initiale des végétaux est affaiblie en sorte que l’homme devra se nourrir dans la peine sur un sol maudit qui « fera germer l’épine et le chardon » (Gn 3,18). La conséquence du péché altère le rapport de l’homme au reste de la création. Le Salut devra donc concerner tout le cosmos : « Le loup habitera avec l’agneau […]. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage… » (Is 11,6-7). La naissance du Sauveur, souvent représenté entouré d’un bœuf, d’un âne, de brebis et d’agneaux, voire de chiens, de chameaux et d’éléphants rappelle à notre culture urbaine que l’homme a très longtemps vécu en proximité quotidienne avec le monde animal, comme avec la terre et les végétaux. Jésus ne connaissait-il pas aussi bien les mouvements invisibles des bancs de poissons que les motions cachées et souvent désolantes de l’âme humaine ?
Entre les serpents qui parlent (Gn 3,1.4-5) et les lions qui broutent (Is 11,7), on croit reconnaître le genre littéraire des fables. Aussi, la question du mode de présence de la nature non-humaine dans le « monde nouveau » (2 Co 5,17), annoncée par des textes remplis d’allégories, reste un sujet non résolu. Ce qui est sûr, c’est que la conception biblique de « la résurrection de la chair » ne peut imaginer une vie abstraite, sous forme d’intelligences artificielles définitivement privées de toute incarnation. Et nous ne pouvons imaginer la chair des hommes vivant dans une bulle vide. Car nos personnes tirent leur respiration et leur subsistance du reste du cosmos, sans oublier, bien sûr, nos indispensables interactions sociales. La résurrection ne sera pas solitaire, mais elle ne sera pas non plus sans un cosmos renouvelé. Ceci engage à prendre soin dès ici-bas d’assainir nos relations avec l’ensemble de la création.