Retour
Mag #8
8 – Huitième numéro
Enraciner

« Tout est lié » en sport : petite introduction à la théologie du corps

Publié le 7 juillet 2021

« Tout est lié ». Le défi de l’écologie intégrale passe aussi par le sport et l’activité sportive. Qu’il s’agisse de sport de compétition à l’Euro ou de sport amateur que chacun de nous est invité à pratiquer.

 

En effet, comme le dit le magnifique document « donner le meilleur de soi-même » du pontife sud-américain, lui-même sportif et passionné de foot, ainsi que l’avait été avant lui le pape venu de l’Est, saint Jean-Paul II, les disciplines sportives mobilisent l’être humain dans l’ensemble de ses dimensions, corps, âme-cœur et esprit. Elles se pratiquent pour beaucoup dans un cadre naturel et doivent tenir compte des conditions météorologiques, comme en voile, en ski, au football, etc.

Paul, l’apôtre sportif, ne s’est pas trompé quand il a eu recours à des métaphores sportives pour diffuser l’Évangile, pour parler de la vie chrétienne et du Royaume : « Tout athlète se prive de tout, mais eux, c’est pour obtenir une couronne périssable, nous une couronne impérissable. C’est ainsi que je cours, moi, non à l’aventure ; c’est ainsi que je fais du pugilat, sans frapper dans le vide, de peur d’être moi-même disqualifié. » (1 Corinthiens 9,25-26). Course, pugilat, athlètes, couronne, disqualification : ces comparaisons conviennent parfaitement à la vie terrestre qui apparaît tel un combat spirituel. Ce sont les grands maîtres mystiques qui le disent, Ignace de Loyola, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix et Thérèse de Lisieux.

 

Une question d’équilibre

« Tout est lié », en ce que nous pouvons appeler l’écologie sportive. D’abord parce que les matches se gagnent autant dans la tête, la psychè, autant par l’âme de l’équipe qui réussit à former un tout grâce à l’apport spécifique et unique de chacun·e, que dans les jambes, la vitesse, la force, la technique et le courage. Les grands joueurs sont finauds et rusés, ce sont d’habiles tacticiens autant que de puissants athlètes, et ils ont un grand cœur qu’ils mettent au service de la cause commune et de celle de leur discipline.

C’est de l’ordre de l’écologie personnelle et intégrale, au sens grec d’oikos (éco), maison de mon être, et logos (logie), gestion rationnelle et prudente. Car il suffit qu’une des dimensions soit sous-développée pour que tout le reste soit mis en péril. Un stopper d’un mètre quatre-vingt-dix tout en muscles risque de se faire dribbler par un petit attaquant malin et de se jeter en avant à corps perdu, sans mesurer la violence de son tacle. Un milieu récupérateur peut courir dix kilomètres de plus que les autres, mais s’il n’a pas saisi la stratégie voulue par l’entraîneur, il passera à côté de son match. Une individualité brillante, capable de marquer un goal sur un coup d’éclat, pourra être mis totalement sous l’éteignoir par une défense adverse intelligente, s’il n’a pas un peu d’altruisme et ne sait pas faire la passe qu’il faut au bon moment, pour démarquer son coéquipier, au lieu de vouloir toujours tout faire tout seul.

« Tout est lié » pour chaque athlète individuel et pour la Mannschaft. Une petite équipe, sans star, est capable de renverser un team composé de vedettes mais incapables de se trouver les unes les autres et de former un tout. « Tout est lié », comme dans l’image du corps dans la première lettre aux Corinthiens. Chaque membre dépend des autres. Tout seul, il ne peut rien faire. S’il brille, il sert au bien commun de l’organisme.

 

Dopage

« Tout est lié » en sport, car si un athlète se met à forcer ou à tricher, il court à la catastrophe. C’est une question d’hygiène de vie, d’écologie personnelle et, j’oserais dire, d’écologie spirituelle. Un joueur qui ne vit que pour le football, mange, dort, boit, respire, fait pipi football, risque de tomber dans une impasse, quand les résultats ne suivent plus, quand l’entraîneur le relègue sur le banc, quand il tombe en disgrâce auprès des fans. Et c’est le trou, la déprime, le burnout.

Si au contraire il cultive sa vie intérieure, par la méditation et la prière – j’en connais –, ainsi que sa vie affective par des amitiés vraies, dans son couple, sa famille et ses enfants, grâce à un horizon culturel et existentiel élargi, il a beaucoup plus de chances de durer. Voyez Federer : il puise sa force auprès de sa femme, de ses enfants, de son entourage – ce qui ne l’empêche pas, il est vrai, de faire de sacrées affaires en publicité en vendant son image. Je pense à Yann Sommer, le gardien de l’équipe suisse de foot qui, après la cuisante défaite contre la Squadra Azzurra, est rentré embrasser sa deuxième fille à peine née et ensuite est revenu à Bakou où il a sorti une troisième partie d’enfer, non, de paradis, contre la Turquie, multipliant les parades décisives, qualifiant ainsi, avec les attaquants et le reste de l’équipe, la Nati pour les 8ème de finale – avec la suite que nous connaissons : cela ne suffit bien sûr pas.

« Tout est lié » en sport, car celui qui triche et se dope introduit des déséquilibres dommageables vis-à-vis des adversaires – les sept Tours de France de Lance Armstrong et la décrédibilisation de tout le cyclisme – et vis-à-vis de son propre organisme. Combien de sportifs d’élite finissent d’ailleurs sur les rotules, en piteux état, après une carrière où ils ont constamment forcé la machine, et ne sont plus que des loques.

Au contraire, un athlète qui mesure ses entraînements, sait renoncer à un tournoi ou une compétition, vit une deuxième partie d’existence épanouie et heureuse. Il s’est dépassé lui-même (transcendé) sans exagération démiurgique (sans hybris). C’est la vertu du juste milieu, de l’équilibre, de la tempérance. C’est le don de l’Esprit de la maîtrise de soi.

 

Cosmos

Respecter son corps, c’est respecter la nature humaine que Dieu nous a donnée, puisqu’il nous a faits à son image. C’est respecter l’ensemble du cosmos et y trouver sa juste place, puisque le terme grec veut dire « ordre mis dans le chaos ». Le sportif est en lien avec le cosmos par son corps et son souffle. Inspiration et expiration relient notre organisme à la planète. Si nous détruisons l’environnement, nous mettons en péril l’eau que nous buvons, l’air que nous respirons, la tempérance dans laquelle nous évoluons. Le sportif fait respirer la planète comme la planète donne à l’athlète sa respiration.

Certaines disciplines ne seront bientôt plus possibles à cause du réchauffement climatique, de la fonte des glaciers et du permafrost. L’alpinisme sur certains sommets devient impraticable, le surf au bord de l’océan est mis en question à cause de la taille des vagues. Quand la biodiversité est menacée, l’équilibre planétaire est rompu, le corps humain est mis sous pression. Allez jouer au foot à 45 degrés, allez disputer un Mondial au Qatar en plein été, comme c’était prévu au début, ou un marathon dans un air irrespirable et des chaleurs insupportables au Japon aux JO de Tokyo. C’est impossible.

Bien sûr, comme pour tout le reste, les pays pauvres sont les premiers à souffrir des injustices climatiques et à devoir renoncer à certaines disciplines.

« Tout est lié » dans la crise environnementale, sociale, sportive et spirituelle. Soyons des athlètes du développement durable, afin de pouvoir continuer de donner le meilleur de nous-mêmes, corps, cœur-âme, esprit dans la mondialisation de la solidarité.

 

Par l’abbé François-Xavier Amherdt.
En deux mots : Prêtre du diocèse de Sion en Suisse. Professeur de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique à la Faculté de théologie de l’Université bilingue de Fribourg. Arbitre de football pendant 44 ans, de 1976 à 2020, dont 5 ans en ligues supérieures (1ère et 2ème division suisse), inspecteur et instructeur d’arbitres de football.

Partager
l'article