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Mag #2
2 – Deuxième numéro
Comprendre

Œcuménisme : « Il faut tout d’abord faire ensemble ce que nous pouvons faire ensemble »

Publié le 15 août 2020

Au sujet de la réception du concept d’écologie intégrale du pape François par les protestants, le père Emmanuel Gougaud, directeur du Service national pour l’unité des chrétiens, nous apporte son expertise sur la réflexion commune concernant les thèmes écologiques.

Constater

L’écologie dans son ensemble n’est ni catholique, ni orthodoxe, ni protestante, elle se suffit à elle-même, et signifie le soin de la Terre. Les chrétiens redécouvrent ce thème central, notamment sous l’influence de l’orthodoxie. On se rend désormais compte que l’écologie est intrinsèquement liée à la vie spirituelle où l’Homme se conçoit comme une créature de Dieu en lien avec la création.

Le parcours « Église verte » est un premier signe de cet œcuménisme écologique qui rassemble déjà 500 églises et communautés chrétiennes et qui permet de savoir comment progresser dans une transition écologique. Évidemment, il y a plus d’églises catholiques qui y participent, mais proportionnellement les communautés protestantes sont plus nombreuses à s’être impliquées dans cette initiative.

Si ce projet est un point d’accord, il faut noter que certains protestants ont plus de mal à mettre dans l’écologie intégrale les thématiques bioéthiques, de vie affective et sexuelle, de contraception, de régulation des naissances qui ne regarde pour eux que la personne concernée. Cela provient directement de l’expérience fondatrice que fait Martin Luther en relisant la lettre de saint Paul aux Romains : « La justice de Dieu est révélée en lui ».

Autrement dit pour Luther, je suis un sujet libre devant Dieu et je suis responsable de ma relation à lui. Aucune hiérarchie, aucun clergé n’est donc supérieur à moi lorsque que je lis la Bible et que je veux être en relation avec Dieu. Saint Thomas d’Aquin ne dit pas autre chose d’ailleurs. Les chrétiens protestants pensent donc que les intermédiaires sont une entrave au développement d’un chrétien adulte.

Sur ces questions spécifiques, il y a par ailleurs une tendance à vouloir accueillir la modernité et de dialoguer radicalement avec elle sans la condamner. Les catholiques ont cette réputation d’être assez réfractaires au changement ce qui n’est pas forcément la réalité. Rappelons tout de même que toutes les branches du protestantisme ne parlent pas d’une même voix sur ces questions, par nature, puisque le protestantisme est très divers.

Ce que les protestants intégreront plus clairement dans l’écologie intégrale serait un thème comme la non-violence radicale de Martin Luther King. Les premiers objecteurs de conscience, sur ce thème viennent d’ailleurs du protestantisme baptiste. L’écologie intégrale évoquera à un protestant des combats différents de ceux des catholiques, en tout cas en surface : les droits humains, la défense de l’égalité, la lutte contre les discriminations y compris l’homophobie, le commerce équitable, etc.

Par conséquent, l’accueil du pape François s’est révélé très positif chez les protestants, ce qui est assez inédit.

Enraciner

Cette culture de l’engagement chez les protestants est visible dès les années 1980 où des combats écologiques impliquent déjà de nombreuses communautés. Le combat contre l’énergie nucléaire en Allemagne, la surproductivité agricole, l’élevage intensif sont des thèmes sur lesquels les protestants ont une large avance.

Et pour cause, le rapport à la Bible est différent. L’ADN des protestants réside dans la lecture de la Bible, de l’ancien testament particulièrement qui leur est encore plus familier. Celui-ci est rempli de métaphore écologique, agricole. Parmi les textes de référence, on trouve : la genèse, l’exode qui est vécu comme une recréation et une bonne partie des psaumes évidemment.

Comprendre

Il faut observer le cas de l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale pour saisir également ce qui a poussé les protestants dans ces nouveaux engagements.

Si nombre d’entre eux se sont vigoureusement opposés au nazisme et ont été persécutés il y a aussi eu des collusions entre l’église protestante allemande et le régime nazi. Cela a donc amené une période de remise en question et de réflexion anthropologique profonde durant l’après-guerre. Paul Tillitch, Jacques Ellul et Paul Ricoeur se sont posé la question suivante : comment la terre de Luther, de la raison qui n’est pas assujettie au pape et plus largement à une quelconque hiérarchie, a pu engendrer le 3ème Reich, la Shoah ? Aurions-nous été de mauvais chrétiens ?

C’est ainsi que Ricoeur en tirera la conclusion suivante : l’être humain n’est pas une entité solitaire, il est intégré dans un milieu de vie. En outre, ces intellectuels protestants dans leur réflexion sur la question de ce qui définit l’être humain, répondent : « Celui qui est capable d’acte bon ». Les actes bons, impliquent donc une vie où l’être humain va au-delà du tandem consommateur/producteur. Ainsi, cette réflexion anthropologique typiquement protestante se construit sur une critique du capitalisme libéral ainsi que sur toutes les formes de totalitarisme.

Dans la continuité de cette réflexion, le théologien Jean Bastaire dit en substance que la mission de tous les chrétiens est de ré-enchanter la nature. Il emploie déjà le mot d’écologie intégrative. De ce point de vue, l’écologie est un lieu qui nous unit. La réflexion que l’Église réformée a entretenue sur ces thématiques peut beaucoup nous apporter, car les protestants ont cette habitude intellectuelle de penser l’être humain dans la modernité.

Agir

Il me semble que dans la démarche de l’écologie intégrale dans l’œcuménisme, il faut tout d’abord faire ensemble ce que nous pouvons faire ensemble. L’écologie est globalement un point d’accord entre les catholiques et les protestants. À partir de là, on peut noter le succès d’église verte mais aussi de la saison de la création qui se déroulera à la rentrée comme chaque année depuis 2015.

Dans une dimension plus historique et culturelle, le protestantisme se sent proche des autres minorités, des petits, de ceux qui souffrent. Il s’engagera donc peut-être plus spontanément que le catholique sur l’accueil des immigrés, les droits humains, le commerce équitable. Il y a cette culture d’être en accord avec ses valeurs avec son bulletin de vote, mais aussi avec sa carte bleue. Sur les questions de consommation, un catholique aura plutôt tendance à cliver et à créer une séparation nette alors que l’engagement chez un protestant peut se faire y compris de façon économique. C’est un apport très intéressant de leur part.

L’enjeu à travers ce dialogue est de se stimuler et de s’entraider dans la démarche écologique, car il s’agit d’un lieu d’évangélisation. Certains parents déjà sensibilisés à ces problématiques ont mis leurs enfants au catéchisme sous l’effet d’Église verte. C’est un thème de réconciliation à la fois entre les Églises, mais aussi avec cette tradition biblique de l’écologie, inhérente à la révélation divine.

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