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Mag #2
2 – Deuxième numéro
Constater

La Création du monde dans l’art

Publié le 3 septembre 2020

Représenter la Création du monde, n’est-ce pas un véritable défi pour l’artiste ? L’histoire de la chrétienté, depuis les premiers siècles jusqu’à nos jours, a été jalonnée d’œuvres merveilleuses et fascinantes qui tour à tour livrent des facettes de ce mystère originel, que nous vous proposons de parcourir avec Régis Burnet, historien et professeur à l’université catholique de Louvain, et membre du comité de rédaction de la revue Narthex.fr

Dans l’art ancien, que ce soit les enluminures ou certaines fresques, on peut distinguer quelques types de représentations très différents, dont les résonances théologiques sont assez contrastées et qui entrent en concurrence.

Le première modèle, le plus courant, est un modèle narratif, qui juxtapose la création sous forme d’un cycle. Il insiste ainsi sur la variété des actions divines. L’une des plus anciennes représentations date du VIème siècle : il s’agit du Pentateuque de Tours, provenant probablement de Syrie. La création du monde, du Liber Alchandrei, IXème siècle, est également un remarquable exemple de cycle narratif.

 

 

On peut également citer la magnifique Bible de Souvigny du XIIème siècle, qui témoigne de la permanence du motif, ou Paolo Ucello avec sa fresque du Cloître vert à Florence.

 

Le deuxième modèle s’inspire du Pantocrator byzantin qui indique plutôt la souveraineté de Dieu sur le monde, et aussi l’idée que le Logos Christ est créateur. Nous en avons deux exemples très beaux : l’Evangéliaire de Reichenau, de l’an mil, où l’on voit que le Christ tient le soleil et les arbres, ou la Bible de Saint Castor de Coblence, vers 1100, avec la lumière, la terre, les arbres.

 

 

Le troisième modèle, peut-être le plus ancien, pourrait trouver son origine dans le cycle de la cosmogonie de Saint-Paul hors les murs du Vème siècle, aujourd’hui détruit mais connu par des relevés du XVIIème siècle, qui est conservé par exemple dans le manuscrit de Saint Père de Rodhes de l’an mil. Ce modèle extrêmement intellectuel reprend des spéculations scientifiques antiques et insiste sur les séparations entre lumière et ténèbres, eau et terre, homme et femme, etc. Il est donc le plus biblique.

 

Un quatrième modèle, plus tardif, est celui du Dieu géomètre, qui créé la terre selon la science : c’est celui de ces fameuses bibles moralisées superbement enluminées pour la famille royale de France à l’époque de Saint Louis. L’enluminure la plus connue est celle du codex de Vienne. On peut la rapprocher d’une œuvre ultérieure, datant du XVIIIème siècle, Le Dieu Architecte de William Blake.

 

Cette composition que l’on peut voir au Baptistère de Padoue est un exemple parfait de « création scientifique ». Elle montre bien que ce genre de représentation illustre ce qui est considéré comme le plus scientifique à une époque : la mathématique au XIIIème siècle, la géographie au XVème siècle, etc.

 

 

Épurée et abstraite, la représentation splendide de la Chronique de Nuremberg est presque une médiation scientifique sur les éléments.

 

Au sein du cycle, la création d’Adam et d’Ève peut prendre son indépendance, comme par exemple dans la Bible de Granval, du IXème siècle, ou dans la représentation plus tardive de Giovanni di Paolo, La création du monde et Adam et Ève chassés du paradis, datant du 15e siècle

 

 

Il est toujours intéressant d’opposer deux visions quasiment contemporaines mais totalement contraires. Ainsi Jérôme Bosch excelle surtout à rendre la beauté du jardin du Paradis, mais dans celui-ci se glissent les images minuscules des péchés qui viendront dominer le monde, et les présages de la chute de l’homme, les tentations du désir et la corruption rapide de l’innocence d’Ève.

 

 

La vision de Michel-Ange est véritablement cosmique ; il commence par Dieu créant l’ordre à partir du chaos primitif, séparant la nuit du jour, la terre des eaux dans un vaste balayage de son bras. Son image est celle du Dieu tout-puissant, porté par les anges et abrité par la Sagesse (Prov. 8, 22-30), donnant la vie au corps inerte d’Adam qui lui tend son bras flasque pour recevoir l’étincelle vitale de la vie.

 

 

 

Enfin, c’est dans l’air du temps, il ne faut pas oublier que les représentations de la création ont donné lieu aux plus belles images de nature de tout l’art ; c’est véritablement un thème « écologique ». La mosaïque de la Chapelle palatine de Palerme en est un excellent exemple avec son caractère d’« observation de la nature ». On peut aussi penser à Poussin, avec Adam et Ève dans l’œuvre intitulée Le Printemps.

 

Il est intéressant de se tourner également vers des œuvres plus contemporaines, comme la Verrière de la Création du monde de Sergio de Castro, 1956-1958, évocatrice d’une véritable et harmonieuse diversité – ce qui pourrait évoquer, avant l’heure, l’écologie comme « biodiversité ».

 

 

De même, le vitrail de la cathédrale de Strasbourg de Véronique Ellena et Pierre-Alain Parot est une ode à la nature placée sous la bénédiction de la main du Christ. Il y a indéniablement l’influence d’une approche écologique dans la création contemporaine, qui donne toute sa place à l’émerveillement de la contemplation de la nature.

Pour aller plus loin :

Régis Burnet, Peindre la Bible, Bayard (parution le 14/10/2020)

 

 

 

 

 

narthex.fr

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