Le thème de la Saison de la Création est en 2020 : » Un Jubilé pour la Terre ». Dans la grande tradition Chrétienne qui consiste à célébrer les jubilés comme un temps de restauration, nous avons demandé au père Alain Paillard, secrétaire général de Justice et Paix France et bibliste d’apporter son expertise sur la notion étymologique du mot : « Jubilé ».
Le mot biblique hébreu yôbēl (יובל) désigne le bélier, mais aussi le jubilé. Pourquoi ? La corne du bélier peut être transformée en une trompe pour sonner, alors appelée shôphār (שׁופר). Ainsi, dans le célèbre récit de la chute du mur de Jéricho, on lit un parallélisme synonymique :
« Lorsque la corne (qeren) du bélier (yôbēl) retentira, quand vous entendrez le son de la trompe (shôphār), … » (Josué 6,5).
Et pour signifier toute cinquantième année, on fait circuler et sonner la trompe dans tout le pays. Cette année-là est appelée yôbēl, un raccourci pour : « année où retentit la trompe tirée de la corne du bélier (yôbēl) ». Saint Jérôme a traduit yôbēl par un terme latin au son voisin : jubilæus (de jubilare, « se réjouir »), soit donc jubilé, en français. Dans sa traduction, il précise : les cornes de béliers (buccinae) « dont on fait usage au jubilé (in jubilaeo) » (Josué Vulg 6,4). Jubilé signifie cette année-là, mais aussi une durée de 50 ans : elle a servi à périodiser l’histoire biblique dans le Livre (non biblique) des Jubilés (2e siècle avant J.-C.), trouvé parmi les manuscrits de la Mer Morte.
Le livre du Lévitique décrit les années saintes : sabbatiques (Lv 25, 1-7) et jubilaires (Lv 25, 8s). Qu’en est-il des jubilaires ?
« Tu compteras pour toi sept sabbats d’années – sept années sept fois … quarante-neuf années –. Et tu feras passer une trompe (shôphār) de clameur, le septième mois, au dix du mois ; au jour des Expiations, vous ferez passer une trompe dans tout votre pays. Et vous consacrerez l’année de la cinquantième année et vous proclamerez un affranchissement dans le pays pour tous ses habitants. Un jubilé, voilà ce que cela sera pour vous : vous reviendrez, chacun de vous, vers sa propriété, et vous reviendrez, chacun de vous, vers son clan … » (Lv 25, 8s).
Autrement dit – et là est l’important – le jubilé est une année consacrée, sainte, une année de libération générale : les terres aliénées ou gagées étaient rendues, les dettes étaient remises, les esclaves pour dette étaient libérés.
On ne sait pas très bien dans quelle mesure cette « législation » idéale a été appliquée. Cette année favorable est aussi devenue une image du règne du Messie attendu (Is 61,2). A la synagogue de Nazareth, Jésus se déclare consacré, notamment pour … « proclamer une année favorable du Seigneur » (Lc 4,19, citant Is 61,2). Quand Jésus prie, il pratique le vocabulaire jubilaire : « Remets-nous nos dettes (/péchés, Lc 11,3), comme aussi nous-mêmes avons remis à nos débiteurs » (Mt 6,12).
En l’an 1300, le pape Boniface VIII a réinitié le Jubilé, sous la forme d’un pèlerinage à Rome pour vivre un temps de conversion (jeûne, aumône, prière ; confession et communion), à proximité des tombes des apôtres et martyrs Pierre et Paul, bienveillants compagnons. Dans le même sens, aux XXe-XXIe siècles, les papes ont institué des années saintes extraordinaires, la dernière en 2016 : un Jubilé de la Miséricorde. La démarche jubilaire, en tentant de conjuguer sur terre Justice et Miséricorde, anticipe et fait entrevoir le règne des cieux.