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Mag #2
2 – Deuxième numéro
Enraciner

Soyons des « réparateurs de brèches » !

Publié le 28 septembre 2020

Mgr Hubert Herbreteau est évêque d’Agen. Sa quinzième lettre pastorale parle de l’engagement écologique des chrétiens.

Il y a cinq ans, le 18 juin 2015, le pape François publiait son encyclique Laudato si’. Qu’en est-il aujourd’hui de l’engagement écologique des chrétiens ? Depuis des décennies, des chrétiens alertent et agissent, sont aux avant-postes de la conversion écologique. Mais nos manières de penser et d’agir ont-elles vraiment changé ?

La crise du coronavirus a montré comme une évidence que l’encyclique du pape est un texte d’actualité. Il nous faut regarder comment nous pouvons passer de cet éclairage moral à des démarches concrètes, à des choix précis au sujet de nos modes de vie ou de notre consommation. La crise économique et sociale qui vient s’ajouter à la crise sanitaire plonge les entreprises et les familles dans l’inquiétude pour l’avenir. Comment tirer les leçons de ce que nous avons vécu ? Le rôle de l’Église est d’inviter à l’espérance. Il faut que nous donnions des propositions concrètes, imaginions des pistes d’action, suggérions de bonnes pratiques, encouragions des initiatives locales.
Parmi les catholiques, il existe encore quelques résistances à Laudato si’. Certains sont inquiets de l’implication sociale de l’Église et trouvent que l’Église ferait mieux de s’investir dans d’autres actions qui semblent plus urgentes. D’autres pensent que l’écologie est à la mode et très colorée politiquement et craignent qu’elle devienne une autre religion. D’autres enfin voient un défi majeur à relever et ont redécouvert pendant la crise du coronavirus la dimension de contemplation, l’écologie humaine intégrale.

Entrer dans l’engagement personnel et communautaire

La question est de passer aux actes. On ne peut pas se contenter de citer Laudato si’, ou de faire référence à François d’Assise. Il faut aussi des réalisations concrètes, même si elles paraissent bien petites par rapport à de grandes décisions économiques. Qu’en est-il vraiment de l’engagement écologique des chrétiens ? Dans cette lettre pastorale, je souhaite mettre l’accent sur plusieurs points. Ce n’est pas exhaustif.

  • Tout d’abord la conversion écologique passe par le développement d’une nouvelle relation à soi, par des temps d’intériorité. Pourquoi pas programmer, une fois par trimestre, une semaine sans télévision et un usage modéré des réseaux sociaux ? L’écologie consiste à sortir de cette redoutable servitude des écrans.
  • Le monde est notre maison commune. Nos choix de la vie quotidienne sont révélateurs de la façon d’habiter collectivement cette maison : quel usage faisons-nous des déplacements en voiture ? Quelles sont nos habitudes de consommation ? Que faisons-nous des déchets ? Et si nous faisions du compost pour notre jardin ? Quel type d’agriculture valorisons-nous ? C’est une culture commune permanente qui devrait se mettre en place : nous sommes héritiers de la Création et appelés à en prendre soin. Pouvons-nous vivre avec moins de biens et plus de liens ?
  • L’écologie ne se réduit pas au seul aspect environnemental. Il s’agit de penser de manière globale tous les aspects de la vie humaine (agriculture, solidarité, industrie et fonctionnement des entreprises, protection de la personne humaine de la naissance au très grand âge). Laudato si’ invite à regarder les causes de la pauvreté et de l’exclusion près de chez nous. C’est l’amour du prochain qui fait sortir de notre confort et nous fait prendre conscience des fragilités et les accompagner, œuvrer à notre mesure à la sauvegarde de la « maison commune ». Le cri de la terre rejoint le cri des pauvres.

Soyons des « réparateurs de brèches » !

Nous sommes appelés à davantage de responsabilité vis-à-vis de ceux qui nous entourent. Comme le souligne le pape François dans son encyclique, l’écologie intégrale est inscrite depuis l’origine dans le dessein de Dieu : « Les récits de la création dans le livre de la Genèse (…) suggèrent que l’existence humaine repose sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation à Dieu, avec le prochain, et avec la terre » (n° 66). Comment vivons-nous aujourd’hui cette triple relation (on pourrait ajouter une quatrième relation : à nous-mêmes) ? Le fait que la pandémie frappe le monde entier nous rappelle la vulnérabilité de notre condition humaine, la prise en compte des limites. L’homme qui allait ainsi de conquête en conquête dans tous les domaines se retrouve soudain mis en échec sur le plan de sa toute-puissance. Allons-nous réussir à édifier une humanité authentiquement fraternelle ? Ou bien laisserons nous notre ancien quotidien reprendre le dessus ?

Je vous propose tout d’abord de faire dans chaque paroisse (en EAP, en conseil pastoral, en établissements catholiques ou en d’autres groupes ou mouvements) une relecture de ce que vous avez vécu pendant la pandémie à partir des questions suivantes :

Quelles leçons pouvons-nous tirer du confinement ? Rapport aux autres, à la nature, à Dieu, à notre santé ?
Comment cela a-t-il été vécu dans les relations familiales, avec les enfants, les personnes âgées ?
Qu’est-ce qui s’est modifié dans le rapport au travail (télétravail, visioconférences, chômage partiel…)
Au plan spirituel, qu’est-ce qui a manqué ? Quelles découvertes ? Quelles expériences de lecture de la Parole de Dieu, de la messe en vidéo, Skype, ? etc.
Comment le contact avec les paroissiens a-t-il été gardé ? Avec les enfants de la catéchèse, avec les malades, les personnes seules ?
Qu’avons-nous perçu de la solitude de certaines personnes, de leur précarité ?
Qu’entendons-nous au sujet des entreprises en difficulté ?

Frédéric Boyer journaliste de La Croix fait une lecture biblique de ce qui nous est arrivé avec la pandémie. Il répond à la question : qui dirige notre vie ? Il fait allusion à la crise sanitaire que nous traversons. « Car il y aurait quelque chose de sinistre dans la tentation de rebâtir pour refaire la même chose, dans l’illusion de pouvoir reproduire à l’identique ce que nous étions, ce que nous avions. Être humain, c’est décider quel « réparateur de brèches » nous voulons être pour reprendre le beau texte d’Isaïe (58, 12) : « Tu rebâtiras sur le vieux monde en ruine, tu refonderas pour les générations, et l’on dira de toi : il répare (en hébreu gadar : réparer, fermer, colmater) les brèches (peretz : brèche mais aussi éruption, ouverture). »
Être réparateur de brèches, ce n’est pas seulement rafistoler une nature qui a été abîmée. C’est plutôt créer de nouveaux modes de vies, créer autrement du commun.

L’acquiescement à la vie
Une lettre de Simone Weil (la philosophe) adressée à un prisonnier en Algérie peut nous aider à approfondir la question de l’écologie intégrale. C’est une lettre pleine de douceur à un homme inconnu d’elle, une lettre qui est la preuve que dans une prison, dans un grand confinement (comme cela a été notre cas), on peut continuer à aimer la vie, à acquiescer à la vie :
« Cher ami, il fait un temps merveilleux ; il y a des flots de lumière sur la mer et les arbres se couvrent de feuilles. Je suis heureuse de savoir que tu trouves la joie à regarder les montagnes. Tant qu’on a des choses telles que la mer, les montagnes, le vent, le soleil, les étoiles, la lune, le ciel, on ne peut pas être tout à fait malheureux. Et même si on était privé de tout cela et mis dans un cachot, savoir que toutes ces choses existent, qu’elles sont belles, que d’autres en jouissent librement doit toujours être une consolation. »
Cet acquiescement à la vie, on le découvre chez un enfant lorsqu’il se réjouit tout simplement de vivre. Sa joie de grandir, de comparer sa taille d’il y a trois mois avec celle qu’il fait aujourd’hui prouve que le déploiement de la vie en lui suffit à le rendre heureux. C’est la joie d’apprendre à marcher, à parler. La joie d’être ce que nous sommes (des êtres vivants, mobiles, parlant, connaissant) n’est cependant pas le privilège de l’enfance.
Pour illustrer cet acquiescement, je pense au poète Silesius qui disait dans Le Pèlerin chérubinique : « Mon esprit est un grain de sénevé ; que son soleil l’éclaire, il grandit à la taille de Dieu dans une félicité débordante de joie » (Livre 1, 52).
Je souhaite que beaucoup de paroisses du diocèse, des écoles catholiques vivent cet acquiescement à la vie en se lançant dans le réseau Église verte. Avec le CCFD, la pastorale de la santé, la pastorale de la famille, la catéchèse, soyons des acteurs reconnus, crédibles et utiles dans le processus de transition écologique !

Le pouvoir de consentir vient de Dieu

La totale adhésion à la vie, le pouvoir de consentir à la vie est directement emprunté à Dieu. Dieu nous a donné ce pouvoir de consentir à la vie pour que nous en fassions usage. C’est une manière de comprendre le beau récit de la création au début de la Genèse.

Le pouvoir de consentir à la vie est rythmé tout au long du récit par une bénédiction : « Et Dieu vit que cela était bon ! » Chaque jour reçoit sa bénédiction. En quelque sorte Dieu donne un ordre : « Que la lumière soit ! » et éprouve un contentement : « Il en fut ainsi ». Jusqu’au septième jour où Dieu se repose. Dieu est un peu comme le peintre qui vient de terminer sa toile et qui se recule de quelques pas pour contempler son œuvre.

Aucun mythe fondateur n’a insisté autant sur la bonté de l’existence, de l’être, de la vie. Et Dieu approuve ce qu’il réalise. Dans les autres religions, les mythes fondateurs ne donnent pas à l’existence cette saveur. La foi héritée du judaïsme, déployée dans le christianisme a ceci d’unique qu’elle confesse la bonté intrinsèque de ce qui est.

La célèbre phrase : « Dieu créa l’homme à son image et à sa ressemblance » peut signifier alors que l’homme à l’image du créateur a en son pouvoir celui de consentir à la vie. Consentir à la vie, c’est dire « tout est bien ». Pas seulement : « Tout est bien qui finit bien ! » On utilise ce proverbe quand une situation mal engagée ou problématique débouche sur une heureuse conclusion. Autrement dit, on l’utilise pour dire que malgré les doutes, tout a fini par rentrer dans l’ordre.

« Tout est bien » est plus que cela, c’est le « Tout est grâce » de Thérèse de Lisieux. Au couvent, sainte Thérèse apprend à consentir à la vie malgré les épreuves de la maladie ou les agacements. Consentir à la vie, c’est refuser de se crisper dans l’épreuve, de s’y résigner, mais l’accueillir pour entendre ce que l’épreuve a à nous dire. La vie sera ce que Dieu nous donnera. « Tout est grâce. » Ce sont aussi les derniers mots du Journal d’un curé de campagne.

Chers diocésains,

L’engagement écologique des chrétiens consiste à changer quelque chose dans nos pratiques de tous les jours. L’encyclique du pape François est plus qu’un plaidoyer en faveur de l’écologie, c’est aussi une expérience spirituelle : notre lien avec la nature traduit quelque chose de notre rapport à Dieu et aux autres.

Vivons cette année avec un souci écologique qui ne soit pas ressenti comme punitif mais comme une expérience fondamentale de l’espérance. Nous nous retrouverons au sujet de l’écologie intégrale avec Elena Lasida au lycée de l’Oustal à Villeneuve sur Lot le samedi 10 octobre 2020 avec les acteurs de l’Église diocésaine.

Bonne année pastorale à tous !

Agen, septembre 2020

+ Hubert HERBRETEAU

A lire depuis le site Internet du diocèse d’Agen

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